Interview du médecin de Thomas PesquetComment garder un astronaute en bonne santé?
Relax
23.4.2021 - 15:53
De la fonte musculaire à l'exposition aux rayonnements en passant par l'impact psychologique du confinement, les voyages spatiaux mettent à rude épreuve la santé des heureux élus.
ETX Studio
23.04.2021, 15:53
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Adrianos Golemis, médecin de vol de l'Agence spatiale européenne, est chargé de veiller sur l'astronaute français Thomas Pesquet durant la mission SpaceX Crew-2 qui doit l'emmener vers la Station spatiale internationale (ISS).
Quels sont les principaux enjeux de santé dans l'espace ?
«Si on parle de l'orbite terrestre basse où se trouve l'ISS, la gravité est quasiment nulle, ce qui a des conséquences sur les os et les muscles.
Les rayonnements sont un problème majeur, parce qu'ici au niveau du sol nous sommes protégés par la magnétosphère (champ magnétique terrestre) et par l'atmosphère mais plus on s'éloigne et plus cette protection disparaît.
Et bien sûr il y a des choses que nous commençons tout juste à comprendre: par exemple des pathologies oculaires ou des thromboses veineuses (caillots sanguins) que certains astronautes en pleine santé développent.»
Quel est l'état des connaissances scientifiques actuelles sur l'exposition du corps humain à ces radiations?
«Vous pourriez accomplir deux ou trois missions de six mois sur l'ISS probablement sans ressentir d'effet notable sur votre santé.
Notre objectif est de faire en sorte que le risque de développer un cancer ne soit pas supérieur de 3% à celui d'une personne exactement comme vous qui n'aurait jamais participé à un vol spatial.»
L'apesanteur a-t-elle d'autres effets ?
«Nous nous sommes adaptés à la vie avec une gravité terrestre (1 G). S'il n'y a plus ça, les veines de vos pieds vont continuer à envoyer du sang en direction de votre tête comme si vous étiez toujours avec 1 G, donc vous avez un excès de sang dans la partie supérieure de votre corps.
Parfois vous pouvez voir que les astronautes ont un visage vraiment bouffi au début de la mission.
Le système sanguin finit par s'adapter et le corps s'habitue à un volume de sang moindre. Donc avant qu'ils ne quittent l'ISS, nous demandons aux astronautes de boire beaucoup et de manger beaucoup de sel.»
Les astronautes sont vaccinés contre le Covid-19, doit-on continuer à les tester ?
«Ils sont en quarantaine mais nous avons prévu deux tests PCR, pour être sûrs à 100% qu'ils ne sont même pas porteurs (du coronavirus).
Quand on est sans gravité, le système immunitaire est moins performant. Les gens peuvent développer des infections qu'ils n'auraient jamais contracté en temps normal, simplement à cause des microbes dont notre corps est naturellement porteur.»
L'équipage passe deux heures chaque jour sur des appareils de sport afin de rester en forme, est-ce que vous restez aussi en contact avec eux ?
«Nous avons un appel vidéo de routine de quinze minutes une fois par semaine.
Au début de la mission, on cherche principalement des signes du mal de l'espace, quand on passe de 1 G à zéro G. Votre cerveau a un peu de mal à s'habituer, il y a un conflit sensoriel entre l'oreille interne et ce que vos yeux perçoivent, et ça peut provoquer des nausées.
Plus tard dans la mission, on s'attache à d'autres choses, notamment sur le plan psychologique ou sur les performances cognitives.
Lorsque vous restez dans un environnement comme l'ISS, vous êtes vraiment dans un endroit très petit, il n'y a pas de nouveaux stimuli et ça a un impact psychologique. Ce n'est pas aussi facile de se concentrer ou de mémoriser des informations.»
Hormis une armoire à pharmacie bien remplie, de quel genre d'équipement médical dispose l'ISS ?
«Par exemple, nous pouvons analyser les hématocrites (globules rouges) et déduire à partir de ça si les astronautes sont assez hydratés, quels changements sont en train de survenir dans leur système sanguin.
Voici deux ans, nous avons pu observer des signes de thrombose. Personne ne s'attendait à ça chez des individus en bonne santé, et ça a jeté une nouvelle lumière sur la façon dont le corps fonctionne sur notre planète.
Nous avons maintenant des équipements à ultrasons, et si quelqu'un présente des symptômes tels que des douleurs ou un gonflement, un autre membre du groupe peut effectuer une échographie pour évaluer s'il s'agit d'un cas clinique de thrombose.
Dans un cas où la vie ou le bien-être d'un astronaute était vraiment en danger, nous déciderions de l'évacuer. Heureusement, depuis 21 ans que l'ISS est dans l'espace, ça n'est jamais arrivé.»