Après Genève et Neuchâtel, Fabrice Midal, le philosophe, écrivain et chantre d'une méditation laïque, va ouvrir ce printemps un centre de méditation à Lausanne, déjà reportée en raison du Covid. Dans l'intervalle, il fait un saut en Suisse pour venir défendre son livre sur l'hypersensibilité qui sort jeudi.
Fabrice Midal est un habitué de la Suisse romande depuis une quinzaine d'années. La France ne compte qu'un seul de ses centres de méditation à Paris, la Suisse romande bientôt trois. Ses livres – il en publie jusqu'à trois par année – y rencontrent aussi un fort succès: «Foutez-vous la paix», paru en 2017, y a par exemple été mieux reçu qu'ailleurs.
Pour expliquer ce bon accueil, il évoque la tradition humaniste et d'ouverture de la Suisse. Avant de revenir au sujet qui l'occupe, celui de l'hypersensibilité. Pour lui, il s'agit d'une question centrale aujourd'hui, car dans une société particulièrement normative, beaucoup de gens souffrent, a-t-il dit à Keystone-ATS.
On considère que 20% de la population est hypersensible, c'est-à-dire qui ressent tout ou presque de façon exacerbée. «Oui il y a eu des périodes plus favorables à ce genre de profils. Mais c'est en même temps paradoxal, poursuit-il, car notre époque a plus que jamais besoin d'eux.»
Lors d'une crise, des gens capables de discerner ce que les entrepreneurs appellent les signaux faibles sont très demandés, pour pouvoir inventer de nouveaux chemins, apercevoir des possibilités là où les autres n'en voient pas. «Ce sont eux qui font bouger la société.»
Pour ce livre, le Français a interrogé des scientifiques. «Depuis quelques années on dispose d'études un peu plus poussées et intéressantes sur ce sujet. Et je voulais sortir de déclarations trop générales et psychologisantes.»
En parallèle, le philosophe se plonge dans ses propres recherches, relit de nombreux auteurs, repense certains concepts comme le sublime avec Aristote. Ce qui lui permet de retracer l'histoire de l'hypersensibilité en Occident en évoquant au long de ses 293 pages les sorcières, Proust ou Darwin.
Il se défend de surfer sur le trend du «développement personnel». L'hypersensibilité n'en est pas moins un sujet qui revient dans les rayons psy des librairies quand elles sont ouvertes, à l'instar de de termes comme «burn out», «pervers narcissique» ou «HP» (haut potentiel ou surdoué).
«Violence de notre temps»
Fabrice Midal réfute aussi l'idée d'offrir une approche dépolitisée: il ne croit pas du tout à cette dichotomie entre développement personnel et réflexions critiques sur la société. Pour lui, on ne peut pas séparer la question individuelle de celle de la politique: «je crois que nous souffrons tous de la violence de notre temps.»
Le fondateur de l'École occidentale de méditation, dont les enseignants sont bénévoles, estime que la méditation en pleine conscience, comme elle est souvent transmise, est très dangereuse pour un hypersensible. Et il en fait partie.
Le Français n'aime pas les injonctions comme 'soyez zen, détendez-vous.' «Moi ça me stresse, avoue-t-il. Je pense que cela rend les gens fous. Plus on leur dit 'soyez zen', moins bien ils vont. On n'est jamais zen, personne ne sera jamais zen.»
Normalisation, instrumentalisation de la méditation: comment discerner dans l'offre du développement personnel, celle qui libère de celle qui asservit ? «La seule manière, c'est juger par soi-même, avance le philosophe. Il faut inviter les gens à plus de réflexion, à faire confiance à leur intuition, à questionner. Je ne crois pas qu'il faut mettre plus de police des esprits en place. Parce que quand l'on veut aider les gens de cette manière, c'est encore pire.»
Lui aime dynamiter les concepts à la mode avec des titres provocateurs. «'Foutez-vous la paix' me semble plus vrai que 'pratiquez pour être encore plus efficace jusqu'à ce que mort s'ensuive.'»
Pour lui, de nombreuses personnes confondent méditation et japonisme. «Le zen au Japon, c'est fantastique, mais c'est une manière dont les Japonais ont questionné la méditation. En Chine, en Inde, en Thaïlande, on ne pratique pas le zen, mais on pratique bien la méditation. Je trouve que l'on devait nous aussi Occidentaux inventer une méditation qui nous corresponde.»
Les relations: moteur de sa vie
Autre clé de son parcours: les rencontres. «Je crois à la relation, c'est le moteur de ma vie.» Et il raconte celle qu'il a nouée avec le psychiatre et écrivain lausannois Gérard Salem, mort en 2018. «On était invité à un colloque ensemble. Avant que je parle, il avait dit tout le mal qu'il pensait de la méditation de manière un peu provocatrice.» Fabrice Midal est du même avis.
«Je trouvais qu'il avait absolument raison: c'était exactement pourquoi je pensais que l'on se trouvait dans l'impasse. On a beaucoup ri. On est devenu très ami.»
Il s'initiera à l'hypnose avec lui, qu'il connaissait très mal. «Cela a beaucoup renouvelé ma manière de penser la méditation par exemple. Vous m'appelez et je pense à lui, car chaque fois que j'allais en Suisse, j'allais le rencontrer».
Mais quel est le but de cet hyperactif qui vit à 100 km/h ? «C'est que l'on se foute la paix et qu'on défende une vision plus humaine.» Il essaie aussi de faire son métier le mieux possible. «Votre métier de philosophe ? non, celui d'être humain.»
Retour à la page d'accueil