Lifestyle «L'art-thérapie se révèle d'une grande aide dans de nombreux domaines» (Claire Oppert)

Relaxnews

6.10.2020 - 18:19

Si la musique adoucit les mœurs, elle a également le pouvoir d'apaiser les douleurs et les peines des patients en fin de vie en unité de soins palliatifs à l'hôpital. Auteure de l'ouvrage «Le Pansement Schubert» (Éditions Denoël), la violoncelliste Claire Oppert se sert de son instrument pour accompagner des soins infirmiers lors d'actes douloureux. L'art-thérapeute revient sur son parcours d'artiste et d'«âme soignante», et nous parle du pouvoir de la musique sur le corps et l'esprit à travers notamment l'étude clinique «Pansement Schubert» menée ces dernières années.

Qu'est-ce que l'art-thérapie musicale ? L'art-thérapie se définit comme 'l'exploitation du potentiel artistique dans une visée thérapeutique et/ou humanitaire'. Il s'agit d'orienter les pouvoirs et les effets de l'Art, véritables principes actifs, sur l'être humain, dans une visée de soin ou de 'prendre-soin'. Quand cet art est la musique en particulier, on parle d'art-thérapie à dominante musicale ou d'art-thérapie musicale.

Qu'est-ce qui vous a amenée à la musicothérapie ?Déjà petite fille, je rêvais d'allier le monde de l'art au monde du soin, probablement inspirée par mon père médecin qui était un artiste dans l'âme et ma mère danseuse qui avait 'l'âme soignante'. Lors de mon tout premier concert, à l'âge de 14 ans, une femme est venue me voir à la fin en me disant : 'Si vous aviez été médecin, vous m'auriez guérie'. Je n'ai jamais oublié cette phrase qui a été comme une onde de choc en moi. Bien sûr, l'art-thérapie ne guérit pas les cancers, mais permet parfois à la personne malade d'avoir envie d'aller mieux et de sentir plus de force et de courage pour lutter contre la maladie.

Avant cette étude clinique du 'Pansement Schubert', savait-on que la musique avait la capacité d'amoindrir la douleur chez les patients en soins palliatifs ?La découverte des pouvoirs et effets de l'Art sur l'être humain remonte à l'Antiquité et l'utilisation de la musique à des fins thérapeutiques est sans doute l'une des traditions les plus anciennes de l'humanité. Chez les Anciens Hébreux, il n'y avait que la harpe de David qui calmait les crises nerveuses du Roi Saül. Chez les Grecs, Asclépios, dieu des médecins, ordonnait souvent à ses malades de réciter des poèmes ou de chanter des chants. Il est vrai que l'art-thérapie moderne en tant que discipline à part entière, originale et spécifique, et en particulier son application auprès des patients en fin de vie et des patients douloureux et/ou déments est beaucoup plus récente. L'étude clinique 'Pansement Schubert' s'inscrit dans cette continuité et elle est la première étude qui montre une diminution massive de la douleur et de l'anxiété des patients hospitalisés en unités de soins palliatifs pendant un soin douloureux à l'écoute de la musique vivante.

Comment se déroulent ces séances de musicothérapie ? Le soin, qui peut être un pansement mais aussi une toilette, une ponction ou une mobilisation douloureuse, se fait avec la présence dans la chambre de la violoncelliste-musicothérapeute. Les soignants comparent une séance avec musique et une séance sans musique, en relevant des paramètres cliniques précis avant, pendant et après le soin sur des fiches d'observation spécifiques. On note différentes constantes cliniques comme la fréquence respiratoire ou l'ampliation thoracique, le niveau de douleur évalué avec des échelles validées, la communication, le niveau d'anxiété, et le ressenti émotionnel exprimé du patient, du soignant et des familles. 112 soins ont été réalisés et analysés au cours de cette étude sur une durée de 5 ans.

Que s'est-il produit très concrètement chez les patients pendant et après ces séances ?Les premiers résultats ont montré une atténuation de la douleur de 10% à 50% lors d'un 'Pansement Schubert' sur 90% des patients, mettant en évidence la capacité des stimuli musicaux à estomper le ressenti douloureux. Ont également été observés une nette décontraction musculaire, une atténuation manifeste de l'anxiété, une verbalisation positive des séances, un impact bénéfique sur les soignants lors des séances, contribuant à de meilleurs soins, et un impact bénéfique sur les familles et les proches.

Pouvez-vous nous parler de cas spécifiques qui ont réagi au son de votre violoncelle ?Tous les cas sont spécifiques ! Notre premier 'Pansement Schubert', par exemple, à l'unité de soins palliatifs de l'hôpital Sainte-Périne, était pour un patient qui avait été 'impiquable' la veille, tant ses veines étaient saturées. Il était très anxieux et agressif avec les soignants. Mais quand j'ai commencé à jouer Schubert ce jour-là, au début de sa ponction veineuse, il s'est mis à me diriger de sa main libre et à chanter au lieu de hurler. 'C'est passé comme une lettre à la poste, dis donc', a-t-il conclu à la fin du soin.

Est-ce que le violoncelle a une particularité qui permet d'obtenir ces résultats, ou est-ce que les séances auraient le même effet avec d'autres instruments ?Le violoncelle est l'instrument le plus proche de la voix humaine. Il est d'ailleurs souvent assimilé à une voix par les patients, la voix d'un proche ou même leur propre voix. Il est donc particulièrement adapté de par la rondeur, la chaleur de son timbre et son grand pouvoir de vibration. Mais d'autres instruments peuvent aussi avoir un effet bénéfique comme la harpe notamment.

Est-ce que vous vous adaptez aux goûts musicaux des patients ou ne jouez-vous que des compositions de Schubert ?Je joue toutes les musiques… dans la mesure de mes possibilités qui se sont considérablement élargies depuis mes très strictes années d'étude au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou ! Je choisis mon répertoire selon le souhait des patients, quand ils peuvent s'exprimer, des familles lorsqu'elles sont présentes, ou de mon intuition simplement. Je joue très volontiers Schubert, comme la toute première fois pour cette résidente d'EHPAD, démente et agressive, qui s'est calmée soudainement à l'écoute du mouvement lent du trio op. 100 de Schubert. Mais je traverse tous les classiques, de la musique baroque jusqu'aux compositeurs contemporains, et aussi la variété, les musiques du monde, les musiques de film, le jazz, le rock, le pop, le rap et je me suis même risquée dernièrement… au métal !

L'art-thérapie pourrait-elle être bénéfique pour des patients qui ne seraient pas forcément en soins palliatifs ?Oui, l'art-thérapie se révèle d'une grande aide dans de nombreux domaines, notamment pour des personnes en difficulté et/ou en situation de fragilité, qui souffrent de troubles psychiatriques, de handicap mental et/ou sensori-moteur, de difficultés psychologiques et relationnelles, en gériatrie, en addictologie, etc.

Des patients dans le coma pourraient-ils également réagir à ces séances musicales ?Les patients dans le coma sont particulièrement réceptifs à la sollicitation musicale. Les vibrations du violoncelle suscitent un champ de sensations riches et les réactions à l'écoute de la musique sont parfois impressionnantes en termes de modification des paramètres respiratoires, de mouvements du corps et même de larmes. Nous menons actuellement, dans le service de soins palliatifs du Centre Hospitalier Rives de Seine à Puteaux, une nouvelle étude sur le souffle des patients non vigilants à l'écoute de la musique vivante. Et l'observation des modifications du souffle est perçue par les familles comme une preuve de la présence au monde de leur proche.

A l'issue de cette étude, peut-on s'attendre à voir la musicothérapie se développer en France et dans le monde ?Il faut souhaiter et encourager son développement dans beaucoup de structures, en travaillant à la formation des compétences des intervenants et aussi à l'ouverture d'esprit des chefs de navire, les dirigeants des unités de soins qui doivent être convaincus du bienfait de cette démarche, à la fois pour les patients mais aussi largement pour les équipes soignantes.

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