L'obésité au quotidien «C’est difficile pour moi de manger en public»

Sulamith Ehrensperger

16.3.2021

Pesant près de 200 kilos, elle est sans cesse la cible de commentaires désagréables: une thérapeute raconte le harcèlement qu’elle subit à cause de son poids. Elle nous explique également pourquoi elle ose à peine manger en public.

Les préjugés et les discriminations accompagnent généralement les personnes en surpoids tout au long de leur vie. 
Les préjugés et les discriminations accompagnent généralement les personnes en surpoids tout au long de leur vie. 
Getty Images/Westend61

Sulamith Ehrensperger

«Je m’appelle Astrid, je suis thérapeute spécialiste du shiatsu et je pèse actuellement 190 kilos. Je suis en surpoids depuis ma naissance. Ma mère me disait: «Ils n’avaient pas de grenouillère à ta taille à l’hôpital.»

A ma naissance, je pesais 5,500 kg. Durant mon enfance, j’étais constamment au régime. J’ai passé les premières années de ma vie à entendre les gens me dire que je devais manger moins, perdre enfin du poids ou m’habiller mieux que les autres en raison de ma silhouette. Tout était toujours si négatif. Aujourd’hui, je suis experte en régimes. Malheureusement, toutes les personnes qui ont essayé de m’aider n’ont rien arrangé. Mon record de poids est de 200 kilos.

C’est difficile pour moi de manger en public. Lorsque je vais au restaurant, je dois d’abord vérifier si je peux m’asseoir sur la chaise. Presque à chaque fois, elles sont trop étroites, notamment à cause des accoudoirs; je dois alors demander au personnel de salle une chaise supplémentaire.

Même aujourd’hui alors que les restaurants sont fermés, j’ose à peine manger en public. On m’adresse constamment des regards désagréables ou des commentaires dédaigneux, du genre: «Pas étonnant que tu ressembles à ça.»

Des transgressions que seules les personnes en surpoids subissent

Je suis également la cible de regards bizarres lorsque je fais mes courses, par exemple quand je mets quelque chose de mauvais pour la santé dans mon panier. Certains réagissent comme s’ils n’avaient jamais vu une personne en surpoids – comme des chihuahuas qui rencontrent un saint-bernard pour la première fois.

Une fois, une fillette a demandé à sa mère à voix haute: «Maman, pourquoi cette femme est-elle si grosse?» Sa mère était embarrassée, elle n’a pas dit un mot. Je lui ai répondu: «Parce que j’aime manger.» Une autre fois, une mère a dit: «Je ne sais pas, pose-lui la question.» Mais l’enfant n’a pas osé.



Les gens se sentent toujours obligés de dire quelque chose. C’est le cas de cette femme qui m’a suivie pendant que je faisais mes courses et qui m’a abordée: «Vous avez vraiment un problème avec votre poids. J’ai un produit, je peux vous le montrer. Je vous garantis que vous vous sentirez mieux immédiatement.» Au contraire, j’étais complètement perdue. C’est une transgression que seules les personnes en surpoids subissent.

Beaucoup ne vont plus au sport parce qu’ils ont honte

En matière de sport également, je suis constamment stigmatisée: on nous dit que nous sommes paresseux, que nous n’avons aucune volonté et que nous avons juste besoin d’un petit coup de pouce. On nous martèle que pour perdre du poids, il faut faire de l’exercice. Mais où qu’on aille, cela embête les gens.

Que ce soit au centre de fitness – «Oui, les gros doivent faire du sport, mais doit-on vraiment assister à ça?» – ou à la piscine – «Fais attention, sinon il n’y aura plus d’eau dans le bassin!».

Quand on entend de tels commentaires entre la cabine et le bassin, on n’a plus envie d’y aller. En réalité, on veut faire quelque chose de positif pour soi-même, mais cela engendre des sentiments négatifs, alors on laisse tomber pour la prochaine fois. De nombreuses personnes en surpoids ne vont pas au centre de fitness ou à la piscine parce qu’elles ont honte.

Pour de nombreuses personnes en surpoids, se rendre à la salle de sport est une épreuve. Elles craignent les regards dévalorisants et parfois même les insultes non dissimulées.
Pour de nombreuses personnes en surpoids, se rendre à la salle de sport est une épreuve. Elles craignent les regards dévalorisants et parfois même les insultes non dissimulées.
Getty Images

J’ai perdu mon précédent emploi à cause de mon poids. On m’a dit à demi-mot: «Soit tu maigris, soit tu t’en vas.» A l’époque, je m’imposais une forte pression dans ma vie professionnelle et personnelle. Je voulais tout faire bien. Je ne voulais pas échouer. On m’a toujours fait la leçon dès mon plus jeune âge: «Avec ton poids, tu dois être deux fois plus performante que les autres si tu veux obtenir quelque chose.» J’ai craqué, j’étais à bout de nerfs. J’ai dû passer deux mois dans une clinique.

Les personnes en surpoids doivent se priver – c’est faux

Depuis lors, j’ai pris un nouveau chemin. Je me suis mise en indépendante et j’essaie de gérer différemment les réactions des gens au quotidien. Avant, je les ignorais souvent, j’avalais beaucoup. Parfois, je rentrais à la maison et je mangeais.

Aujourd’hui, j’essaie de ne pas rester bloquée dans des schémas négatifs, mais de comprendre pourquoi je réagis à une remarque. Ce n’est pas facile de se sortir de schémas établis. Je m’entraîne chaque jour pour mieux y parvenir. Si on veut vraiment perdre du poids, il faut s’occuper de soi-même, de ses habitudes, de son subconscient.



En réalité, une personne en surpoids qui souhaite maigrir a besoin d’une équipe de choc autour d’elle – presque comme un sportif de haut niveau. J’ai consulté de nombreux nutritionnistes, essayé d’innombrables régimes et je n’ai cessé de me priver. Je tenais à chaque fois au début, mais on finit au bout d’un moment par capituler, on s’arrête à la boulangerie et on mange tout ce dont on a envie. Jusqu’à récemment, je mangeais environ 900 calories par jour, parfois rien avant 22 heures, après quoi je tombais d’épuisement dans mon lit.

La plus grosse erreur est de dire aux personnes en surpoids qu’elles doivent se priver. Il y a un peu plus de quatre mois, pour la première fois de ma vie, j’ai entendu un expert en nutrition me dire de manger plus! Je sais maintenant que mon métabolisme de base est d’environ 3000 kilocalories. Aujourd’hui, je m’alimente de manière plus structurée et je mange en un jour la même quantité que ce que je mangeais parfois en une semaine auparavant. J’ai plus d’énergie – et j’ai perdu dix kilos à l’heure actuelle.

«Je dois renoncer aux massages»

En Suisse, on ne rencontre pratiquement jamais de personnes en surpoids, que ce soit au restaurant ou dans les magasins. Ce n’est pas étonnant, car lorsqu’une personne en surpoids veut faire des achats dans une chaîne de prêt-à-porter, on la regarde d’un air bizarre et on lui dit: «Nous n’avons pas de grandes tailles.»



Et si j’ai juste envie d’acheter un cadeau pour mon filleul? Dans de nombreux domaines de la vie, je dois m’organiser différemment: dans un hôtel bien-être, aucun peignoir ne me va, je dois apporter le mien et je dois généralement renoncer aux massages, car de nombreux thérapeutes ne s’occupent pas des personnes en surpoids.

Je pense que beaucoup de personnes en surpoids ne se montrent pas dans la vie publique parce qu’elles ont peur des réactions et du regard des autres. Mon objectif est de pouvoir un jour retrouver de l’insouciance dans ma vie quotidienne. Je veux pouvoir monter à nouveau à cheval comme je le faisais tout le temps quand j’étais petite.»