Analyse sociologique Les vaccino-sceptiques ne sont pas un bloc uniforme

Relax

5.12.2021 - 16:29

La méfiance face aux vaccins, phénomène particulièrement débattu depuis la crise du Covid-19 dans un contexte de forte désinformation, n'est pas monolithique, explique à l'AFP le sociologue français Jérôme Gaillaguet, qui travaille depuis plusieurs années sur le sujet.

5.12.2021 - 16:29

La méfiance face aux vaccins, phénomène particulièrement débattu depuis la crise du Covid-19 dans un contexte de forte désinformation, n'est pas monolithique.
La méfiance face aux vaccins, phénomène particulièrement débattu depuis la crise du Covid-19 dans un contexte de forte désinformation, n'est pas monolithique.
Daniel MIHAILESCU / AFP

Les anti-vaccins représentent-ils un phénomène de fond ?

L'influence d'une nébuleuse militante «anti-vaccins» ne doit pas être négligée, mais on doit la distinguer des phénomènes d'hésitation. Il y a un effet de cadrage médiatique qui donne l'impression d'un phénomène +antivax+ très répandu avec des personnes qui sont fermement opposées à la vaccination. Ces mouvements sont assez visibles, ils sont bruyants sur les réseaux sociaux... Sauf que la réalité du phénomène de doute n'est pas du tout la même: en grande majorité, on a des personnes qui éprouvent de réelles hésitations ou de l'indifférence. Et il y a quasiment autant de réticences que de trajectoires. Dès qu'on s'intéresse aux personnes, on se rend compte que les doutes surgissent au gré des expériences.

On va aussi observer de la variabilité dans le temps dès qu'on suit un peu les gens. On peut avoir très vite l'impression qu'une attitude est figée mais on voit bien quand on s'intéresse à l'expérience qu'une opinion peut être exprimée d'une façon différente selon le contexte.

Typiquement, l'intensité médiatique d'une controverse peut faire varier l'attitude. De la même manière, j'ai pu observer des variations chez des personnes qui n'étaient pas parents au début de l'enquête et qui, avec un enfant, se mettent à se poser des questions de manière différente.

On peut aussi retrouver énormément de défiance chez des personnes qui ont mal vécu certaines expériences de l'institution médicale ou de la médecine, par exemple face à des problématiques que des médecins minimisent tout en n'apportant aucune réponse à leurs questions.

Avez-vous des exemples de positions qui changent au fil du temps ?

Une de mes interlocutrices a environ 60 ans. On s'est rencontré en 2017 où elle était assez réticente (face aux vaccins). Elle avait travaillé quand elle était jeune comme visiteuse médicale: des commerciaux qui vont vendre des médicaments auprès des médecins... elle s'est forgé la conviction que les profits des laboratoires prévalaient largement sur la santé des gens. Elle a tout plaqué pour ouvrir une pizzeria. Mais après un an de pandémie, elle est allée sans aucune hésitation se faire vacciner.

Etant en contact en permanence avec de la clientèle, elle a vu énormément de gens malades ou mourir. Et elle s'était fait une copine qui était infirmière dans un hôpital très touché.

Dans l'autre sens, j'ai une personne que le pass sanitaire a braquée. La première fois qu'on s'était rencontrés, cette personne était assez défiante. Mais, au fil des années, le sujet a baissé en intensité dans les médias, elle a commencé à avoir des enfants dans son entourage. Et puis elle avait des amis médecins, et un grand-père à la maison pour qui se posait la question de la vaccination contre la grippe...

Elle s'est mise à me dire: «J'étais un peu jeune et énervé, mais je vois bien que les risques liés à la vaccination sont très rares». Mais, avec la mise en place du pass sanitaire, elle s'est à nouveau complètement braquée en disant +Je n'accepte pas qu'on me dise (quoi faire)+.

Les mesures de coercition comme le pass sanitaire sont donc contre-productives ?

À court et moyen termes, la mise en place du pass sanitaire a pu énormément faire changer d'attitude des hésitants qui se trouvaient face à de nouvelles contraintes dans leur quotidien. Evidemment, on leur disait qu'ils n'allaient plus pouvoir voyager, aller au restaurant...

Mais on a remplacé les enjeux sanitaires par des enjeux sociaux. On sort les gens d'une situation où ils doivent réfléchir en terme de risques épidémiques: est-ce que j'ai un risque effectif à me faire vacciner ? Est-ce que je peux en tirer des avantages ? Est-ce que je peux contracter la maladie ? Est-ce que je suis une personne à risque ?

On lève complètement ces questionnements pour les individus. Faire comme si ces questionnements n'en étaient pas, alors qu'ils travaillent une partie considérable de la population, ne résout pas du tout le problème de la confiance envers la vaccination.

Relax