Accompagnant de fin de vie «L’être humain n’est jamais aussi authentique qu’à sa mort»

de Sulamith Ehrensperger

27.1.2020

Ils accompagnent les personnes dans les derniers moments de leur existence: les accompagnants de personnes en fin de vie désirent faire bénéficier les personnes gravement malades d’une qualité de vie élevée jusqu’à leur décès.
Ils accompagnent les personnes dans les derniers moments de leur existence: les accompagnants de personnes en fin de vie désirent faire bénéficier les personnes gravement malades d’une qualité de vie élevée jusqu’à leur décès.
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La mort est volontiers passée sous silence. Pour Philippe Daucourt, elle fait partie de sa vie professionnelle. L’occasion d’un entretien avec un accompagnant de personnes en fin de vie pour parler de sa vocation, des gens et de la mort.

Monsieur Daucourt, vous vous désignez comme accompagnant de vie, vous suivez les personnes jusqu’à leur mort. Comment en êtes-vous arrivés là?

Même si quelqu’un est en train de mourir, je suis à ses côtés quand il vit encore. Je suis également un accompagnant de vie, qui a une connotation plus positive qu’un accompagnant de personnes en fin de vie. La mort est encore toujours perçue comme une chose négative dans notre société.

Pourquoi passe-t-on la mort sous silence?

De nombreuses personnes craignent encore la mort, raison pour laquelle le sujet est peut-être encore tabou. Les médias en revanche, parlent toujours plus de la mort, mais de plus en plus souvent en dernière minute. La mort fait pourtant partie de toute vie, nous le savons tous.

Comment en êtes-vous arrivé à accompagner des personnes mourantes?

J’ai travaillé auparavant durant treize ans dans le domaine des assurances. Ce n’est qu’à l’âge de 30 ans que j’ai décidé de m’engager dans le secteur des soins. J’ai commencé tout en bas de l’échelle, comme auxiliaire de soins aux personnes âgées puis j’ai travaillé dans une institution pour les personnes atteintes de maladies graves. C’est là que j’ai réalisé que je peux apporter quelque chose aux personnes en fin de vie et que le temps passé en leur compagnie est également enrichissant à titre personnel. J’ai aussi côtoyé la mort par rapport à ma famille: ma mère est décédée suite à un cancer, mon père souffrait de la SLA (note de la rédaction: la sclérose latérale amyotrophique est une maladie dégénérative à évolution rapide du système nerveux central et périphérique).

Philippe Daucourt est accompagnant de vie et de personnes en fin de vie ainsi que responsable de l’antenne régionale Mittelland auprès de la Croix-Rouge suisse Canton de Berne.
Philippe Daucourt est accompagnant de vie et de personnes en fin de vie ainsi que responsable de l’antenne régionale Mittelland auprès de la Croix-Rouge suisse Canton de Berne.
SRK

La plupart des gens se sentent mal à l’aise lorsqu’ils se retrouvent face à des personnes mourantes. Pourquoi est-ce différent dans votre cas?

C’est difficile à décrire (il réfléchit longuement). Je constate avec le recul que je me suis senti à l’aise avec cette situation car c’est à la fois un don et un partage mutuels. Les personnes mourantes peuvent également énormément donner. L’être humain n’est jamais aussi authentique de toute sa vie que durant ces moments-là.

Comment allez-vous au contact de personnes qui partent ou souvent aussi qui doivent partir?

Mon élixir de vie vient du fait que je reste curieux. Chacun est différent, dans la mort aussi. Certains sont très heureux lorsque tu poses dix questions, d’autres ne veulent pas dire un mot. Il est important pour moi d’accepter la personne que j’ai devant moi sans y transposer mes propres valeurs. Je ne dis pas que j’y parviens toujours, je ne suis pas le bon Dieu.

Mon grand-père était peu accommodant car il n’arrivait plus à se déplacer correctement en fin de vie. Quels moments difficiles avez-vous vécus?

Il y a certaines situations qu’il faut supporter. Je m’occupe actuellement d’une femme qui m’insulte fréquemment, dû à sa maladie. Mon père avait parfois tapé sur la table afin de se faire remarquer car il ne pouvait plus parler. Je pensais qu’il était furieux alors qu’aujourd’hui, je sais qu’il cherchait à communiquer.

Comment gérez-vous de tels rejets ou colères?

Parfois, une histoire complète qui préoccupe la personne mourante refait surface. Je me dis alors que je ne peux pas encore régler toute l’histoire de vie personnelle de quelqu’un d’autre au dernier stade. Et je ne devrais pas non plus le faire, car il appartient à chacun d’y remédier. Les valeurs changent parfois aussi radicalement, comme chez mon père. Il avait une position critique vis-à-vis d’Exit puis il a changé d’avis du fait de sa maladie. Sa capacité de communication était très altérée et, comme il n’arrivait plus à se lever, il m’a demandé si je pouvais faire les démarches concernant Exit à sa place.

Comment avez-vous vécu cette expérience? Vous accompagnez généralement les gens des soins palliatifs jusqu’à leur décès.

Je n’ai pensé à aucun moment si c’était bien ou pas car je n’avais pas à juger sa décision. J’étais bien sûr concerné en tant que fils, mais au final c’est la personne qui décide de son sort. Je ne crois pas que j’approuve Exit à tous points de vue, mais ce n’est pas à moi de convaincre les autres avec mes dogmes.

J’ai lu des récits au sujet de personne mourantes qui ont encore organisé une fête d’adieu avec vin mousseux et cigarettes.

Il y en a, oui. Mais la mort n’est pas aussi spectaculaire la plupart du temps. De nombreuses personnes partent en silence, lorsque personne n’est présent dans la pièce. C’est ce qui m’est arrivé avec ma mère. Je suis resté assis à ses côtés durant cinq jours. Mon frère m’a ensuite demandé si je voulais l’accompagner boire un café. À mon retour, elle nous avait quittés.

D’habitude, vous ne restez probablement pas assis des jours durant au chevet de quelqu’un. Que font les accompagnants de personnes en fin de vie?

Je regarde ce dont les personnes ont besoin et ce qu’elles désirent. Cela peut aller d’apprendre à rédiger un SMS, préparer des paiements, aller faire des achats, regarder ensemble le même film pour la x-ième fois jusqu’à rester simplement assis et écouter la personne.

Quelles choses nous préoccupent au cours des derniers mois, jours, heures de notre vie?

Les personnes avec des enfants veulent être certaines que l’on s’occupe d’eux et qu’ils aillent bien. La question de ce qu’il y a après la mort hante de nombreux esprits. C’est une des questions les plus posées. Une femme s’est demandé si elle aurait encore épousé son mari si elle avait été préalablement au courant de toutes ses liaisons. Il a été gentil, elle n’a manqué de rien, et pourtant elle en doute.

Les personnes mourantes ont-elles peur de la mort?

Elles sont nombreuses à craindre que la mort puisse être douloureuse. J’ai déjà rencontré certaines personnes qui se sont battues jusqu’au dernier instant. D’autres partent paisiblement, comme si elles pouvaient simplement la laisser se produire. Je dois avouer en toute honnêteté que je ne sais pas dans la majeure partie des cas si les mourants éprouvent de la peur juste avant leur départ, je ne suis souvent plus en leur compagnie dans ces moments.

Ma grand-mère a encore découvert dans ses derniers jours qu’elle aimait bien les canapés au saumon. Mon autre grand-maman est partie de façon inattendue mais en restant fière jusqu’à la dernière minute. Quelle expérience avez-vous faite: meurt-on comme on a vécu?

Je le crois. Je me souviens d’une femme qui aimait jouer au «jeu des petits chevaux». Elle m’a encore appelé l’après-midi et m’a demandé si je pouvais amener une tourte Forêt-Noire de la Migros, elle la trouvait si bonne. Nous avons joué devant le poêle de masse et mangé du gâteau. Elle m’a ensuite dit au revoir très chaleureusement, jamais comme cela auparavant, et a déclaré que nous ne nous reverrions peut-être plus. Je n’ai rien pensé à ce sujet. Sa fille m’a appelé le jour suivant: sa mère s’était éteinte dans son sommeil.

Quelles derniers souhaits gardez-vous en mémoire?

Une dame a voulu que l’on fasse rouler son lit vers la fenêtre afin d’apercevoir la pleine lune. D’autres ont commandé leur nourriture préférée, pour mon père un morceau de camembert en l’occurrence. Une femme souhaitait encore une fois aller voir les girafes au zoo. Un jour, nous avons décoré entièrement le lit d’animaux en peluche car cette femme en avait collectionné des centaines. Il ne s’agit bien souvent pas de demandes extravagantes, mais de vœux que l’on peut exaucer.

Comment puis-je apporter mon soutien à une personne dont la fin est imminente?

Je crois que le plus simple reste de lui demander ce dont elle a besoin. Observer, être à l’écoute, ressentir, voir, on le remarque parfois également lorsqu’une personne n’arrive plus à communiquer, à la posture corporelle, aux expressions faciales.

Peut-on être aussi être blasé face à la mort en tant qu’accompagnant de personnes en fin de vie?

Je pense que cela ne doit pas m’affecter, mais me préoccuper. Ce ne serait pas une bonne chose si je ne m’en souciais plus. Les échanges avec mes collèges et mon partenaire de vie m’aident, mais aussi écouter de la musique, ce qui me permet de me plonger un moment dans mon monde. Parfois, je me surprends à constater que je n’ai pensé à rien à l’instant.

Avez-vous peur de la mort?

De la mort elle-même, je ne suis pas trop inquiet. Je crains plutôt les douleurs – les accidents ou les maladies par exemple. Je suis très préoccupé de ce qu’il adviendra si je ne suis plus capable de discernement et que quelqu’un d’autre doive décider de mon sort. C’est pourquoi j’ai déjà pris toutes mes dispositions. Nous décidons de ce que nous faisons de notre vie lorsque nous sommes vivants, pourquoi ne devrions-nous pas non plus décider lorsque nous mourons? Nous vivons finalement jusqu’à notre ultime instant de vie.

Vous trouverez des offres d’aide et de conseils de la Croix-Rouge suisse (CRS) ainsi que des interlocuteurs dans votre région en cliquant ici.

La CRS propose par exemple des cours pour les personnes souhaitant régulièrement être bénévoles d’accompagnement en fin de vie .

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