«Nous sommes la Suisse» Melanie Alexander: «Les Suisses sont plutôt inhibés lorsqu'ils dansent»

Bruno Bötschi

14.4.2018

Melanie Alexander est professeure de danse: «J'essaye de traiter avec équité les gens qui viennent me voir. Je ne me mets pas sur le devant de la scène pour dire: "Faites tout comme moi."»
Melanie Alexander est professeure de danse: «J'essaye de traiter avec équité les gens qui viennent me voir. Je ne me mets pas sur le devant de la scène pour dire: "Faites tout comme moi."»
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La musique et la danse l'ont toujours fascinée. Melanie Alexander a réalisé ses vœux, est devenue professeure de danse et surtout, elle savoure la possibilité de pouvoir désinhiber les Suisses et les Suissesses.

Bluewin: Melanie Alexander, les Suissesses et les Suisses sont-ils de bons danseurs?

Melanie Alexander: Oui. Je crois qu'il y a des bons danseurs partout sur le globe. Le seul défaut de nos compatriotes, c'est qu'ils sont souvent un peu inhibés.

Pour quelle raison?

Danser ne fait pas forcément partie de notre culture. Cela ne signifie pas que l'on danse plus mal dans ce pays que dans un autre, mais tout simplement que notre attitude est différente.

En tant que professeure de danse, comment arrivez-vous à désinhiber vos élèves?

J'essaye de traiter avec équité les gens qui viennent apprendre. Je ne me mets pas sur le devant de la scène pour dire: «Ok, maintenant copiez/collez mes gestes et imitez-moi.» Je dis plutôt à mes élèves: «Nous sommes sur un terrain de jeu. Il n'y a pas de bon, ni de mauvais.» Souvent, dans mes chorégraphies, j'intègre des mouvements que des élèves ont réalisés par mégarde. Cela m'inspire, car je ne veux pas seulement être enseignante, je suis également ici pour apprendre. De cette façon, je peux aussi désinhiber plus facilement les participants.

Melanie Alexander: «Tout au long de ma vie, j'ai pu profiter de mon exposition précoce à diverses cultures.»
Melanie Alexander: «Tout au long de ma vie, j'ai pu profiter de mon exposition précoce à diverses cultures.»
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Othella Dallas, 92 ans, dirige une école de danse à Bâle depuis près de six décennies. Lors d'un entretien, elle m'a confié: «Les Suisses sont trop parfaits. Lorsque tu danses, tu dois le faire avec ton âme, ton cœur, ton ventre. Connaître les mouvements parfaitement ne sert à rien si tu ne te plonges pas en toi, si tu ne développes pas de sensation pour ton corps.»

C'est une théorie que je peux approuver. Les Suisses sont plutôt disposés à être analytiques, ce qui peut avoir des avantages. Cependant, lorsqu'il s'agit de danser, il faut établir un lien avec le cœur. Autre particularité suisse? Le perfectionnisme. Il y a quatre semaines, un élève est venu me voir en m'indiquant qu'il voulait apprendre un style de danse spécifique. Après la première heure de cours, il était fâché de ne pas mieux maîtriser ce type de danse.

Qu'avez-vous fait?

J'ai tenté de l'apaiser et lui ai dit que la perfection n'était pas une fin en soi. Je lui ai dit qu'il ne devait pas nécessairement penser au résultat final dès la première heure de cours. Je lui ai ensuite fait savoir que nous allions embarquer sur un voyage lors des cours de danse des semaines à venir. Nos propres exigences sont souvent des entraves. C'est pourquoi j'essaye avant tout de transmettre de la joie à mes élèves, qu'ils prennent conscience, notamment, du bonheur à utiliser son corps. Cette décontraction permet de stimuler le progrès.

Une réminiscence de votre première danse?

J'ai un souvenir particulièrement vif d'un moment, lors d'une sortie de classe. Un soir, les écoliers étaient chargés de l'organisation d'une soirée. Pendant un jeu, chacun devait danser les yeux fermés. C'était un moment incroyable. Pendant que je dansais, je me sentais libre, en harmonie totale avec mon corps. C'était comme si je voyageais à travers ma galaxie intérieure.

Sur votre site Web, vous écrivez: «Je suis originaire à la fois du Texas et du canton des Grisons, et j'ai grandi à Effretikon.»

Tout au long de ma vie, j'ai pu profiter de mon exposition à diverses cultures. Le Texas, la patrie de mon père, est une région vaste et plate, dotée d'un climat chaud et humide, tandis que le canton des Grisons, la région de ma mère, est parcourue de montagnes et de vallées. Les habitants y ont une mentalité complètement différente. Mon style de danse est le témoin de ces diverses influences.

La danse est votre vie. Vous êtes accro?

Auparavant je l'étais. Désormais, je suis aussi capable de ne rien faire.

Melanie Alexander: «Le plus beau dans la danse, c'est qu'il est parfois impossible d'exprimer avec des mots ce qui se produit lorsque qu'on se laisse porter par le mouvement. La danse incarne quelque chose de magique.»
Melanie Alexander: «Le plus beau dans la danse, c'est qu'il est parfois impossible d'exprimer avec des mots ce qui se produit lorsque qu'on se laisse porter par le mouvement. La danse incarne quelque chose de magique.»
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Quelles sont les motivations qui vous poussent à vous entraîner lorsque l'envie n'y est pas?

La danse va de pair avec la discipline. Aujourd'hui, étant donné que je donne davantage de leçons que je ne passe de temps sur scène, je ne dois pas nécessairement disposer d'une forme physique aussi affûtée qu'auparavant. Lorsque je suis fatiguée, il me suffit de me reposer pendant une journée ou de m'accorder une grasse matinée.

Des études ont prouvé que danser était bon pour la santé. Cette activité permettrait d'atténuer les douleurs, les difficultés motrices ainsi que la dépression.

Oui, je ne peux que confirmer. Récemment, j'étais assise à côté d'un monsieur d'un certain âge lors d'un bal. Il était déjà assez fragile. Pour se lever, il devait s'appuyer sur le dossier de la chaise. Toutefois, lorsqu'il se mettait à danser, toute sa fragilité semblait avoir disparu. Je suis absolument convaincue que le rythme et la danse peuvent concilier et guérir l'âme et l'esprit. Pour les personnes souffrant de la maladie Parkinson, la danse permet d'améliorer la motricité. Quant aux personnes atteintes de démence ou de dépression, la danse est aussi un moyen de traitement.

Récemment, le magazine hebdomadaire «Spiegel» a publié un article sur les aspects positifs de la danse. Le titre était «Groove divin». Est-ce justifié?

Je n'aime pas particulièrement le mot «divin». Toutefois, si cela signifie que la danse relie l'être humain au cosmos, je suis d'accord avec cette déclaration. La danse est le moyen qui me permet de percevoir le moment présent. Lorsque je danse, je suis en mesure d'oublier le passé et je ne crains pas l'avenir. Cette discipline donne lieu naturellement à un état de pleine conscience. Lorsque j'atteins cet état, je ressens de l'empathie et de la décontraction, je suis capable de changer de perspective et d'examiner simplement mes pensées et mes sentiments. Pour beaucoup, le monde va trop vite. La danse permet de ralentir cette marche effrénée.

À quel point la scène et les applaudissements du public vous sont-ils importants?

J'étais patineuse artistique et j'ai seulement commencé à danser professionnellement à l'âge de 24 ans. C'est pourquoi j'ai toujours savouré chaque moment passé sur la scène. Désormais, je suis toujours ravie d'être sous les feux de la rampe, mais le fait que ça n'arrive pas fréquemment ne me frustre pas.

En 2010 le monde était votre scène: sur 65'000 participants, c'est votre candidature qui a été choisie pour une campagne internationale de la marque Benetton. Soudainement, de grandes affiches avec vos taches de rousseur et votre coupe afro sont apparues dans chaque métropole.

C'est une agence qui a porté à ma connaissance le fait que Benetton cherchait un nouveau visage. Je me suis toujours dit que j'avais typiquement un visage «Benetton», c'est pourquoi j'ai posé ma candidature. Je pense que je me suis lancée un peu naïvement dans cette aventure. Toutefois, cela m'a procuré beaucoup de joie et je suis fière d'avoir été sélectionnée pour la campagne.

La danse est un art volatil. La caractère éphémère de cette discipline vous cause-t-il de la tristesse?

Non. Le plus beau dans la danse, c'est qu'il est parfois impossible d'exprimer avec des mots ce qui se produit lorsque qu'on se laisse porter par le mouvement. Danser est magique.

En 2001 Melanie Alexander a été sélectionnée parmi plus de 65'000 candidats pour la campagne internationale d'une marque de vêtements.
En 2001 Melanie Alexander a été sélectionnée parmi plus de 65'000 candidats pour la campagne internationale d'une marque de vêtements.
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Voulez-vous atteindre la perfection en tant que danseuse?

Non. Toutefois je veux pouvoir toucher le public avec mon art.

Les conditions sont-elles importantes?

J'apprécie que le sol soit de qualité suffisante pour prévenir les blessures. J'ai déjà pu danser dans de beaux théâtres parisiens aussi bien que dans des maisons habitées. Toutefois, je ne pratique pas la danse pour avoir le plus de spectateurs possibles ou pour tout le spectacle autour de la performance elle-même.

Vous vivez depuis des années à Zurich: où aimez-vous le plus danser dans cette ville?

J'ai de fantastiques souvenirs d'un projet de danse que j'ai monté avec Hora, le Théâtre zurichois pour personnes en situation de handicap. Après avoir constaté l'enthousiasme et le talent de l'équipe du Hora, j'ai rapidement décidé de tourné une vidéo avec des acteurs et des actrices.

Où souhaitez-vous absolument danser en Suisse?

Je rêve de danser un jour sur le mont Verità, lors d'une chaude averse d'été. Ce lieu, qui n'était occupé que par une poignée de marginaux au début du vingtième siècle, est dotée d'une atmosphère particulière. Son énergie me galvanise.

Cela vous arrive-t-il de danser toute la nuit?

Oui, absolument. I love it. Pour les longues nuits, je jette mon dévolu sur la musique électronique. J'apprécie le fait qu'il y a des DJ qui cherchent à instiller un peu de finesse dans leurs sélections. Il ne s'agit pas toujours de boum boum.

À quels DJ pensez-vous?

DJ Stephan Bodzin a commencé par étudier la musique classique. Il laisse filtrer cette connaissance dans ses sélections et c'est très appréciable. J'aime aussi lorsque des DJ utilisent de vrais instruments et qu'ils lient sons électroniques et tonalités naturelles, comme le fait DJ Milo Häfliger. Cela me donne l'énergie de danser toute la nuit.

Vous avez une devise?

On attribue à Ghandi, le rebelle indien, la phrase suivante: «We must become the change we want to see.» Nous ne devons donc pas seulement rêver d'un monde meilleur, mais aussi apporter notre contribution et ne pas attendre que les autres le fassent à notre place.

Série d'entretiens: «Nous sommes la Suisse»

La Suisse est un pays où il fait bon vivre. Tout y fonctionne bien, voire même parfaitement. Dans le cadre de notre série d'entretiens «Nous sommes la Suisse», nous conversons avec des femmes et des hommes qui nous donnent leur point de vue sur notre pays. 

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