Japon Issey Miyake, l'innovation technique au service de la mode

AFP

9.8.2022 - 12:05

Le Japonais Issey Miyake, décédé à l'âge de 84 ans, a passé plus d'un demi-siècle à marier innovation technique et mode vestimentaire, bousculant les conventions et s'imposant mondialement comme un inventeur et un artiste, avec un lien particulièrement fort avec la France.

Préférant se définir comme «fabricant de vêtements» plutôt que styliste, il a fait partie de la vague de jeunes créateurs japonais ayant apporté un vent de fraîcheur dans la haute couture parisienne à partir des années 1970.

Il est notamment connu pour avoir confectionné des habits composés d'une seule pièce de tissu ("A-POC, A Piece Of Cloth"), sans couture, optimisant ainsi mouvement, fluidité et confort. 

Sa ligne «Pleats Please», perfectionnant la technique du plissé pour rendre les vêtements infroissables, a aussi marqué les esprits.

Lancée à partir de 2010, sa ligne de sacs géométriques et en relief «Bao Bao» a encore renforcé son aura. Issey Miyake était aussi le fournisseur attitré des célèbres pulls à col roulé noirs de Steve Jobs, le cofondateur et ancien patron d'Apple.

«Issey Miyake, c'est un homme de recherche, un découvreur, un grand inventeur qui a conçu et utilisé des matériaux et des textures uniques au monde», résumait en 2021 auprès de l'AFP l'ancien ministre français de la Culture Jack Lang, soulignant aussi son «élégance morale, intellectuelle» et sa «profonde humanité».

Papier artisanal et fil de fer

A peine diplômé de l'université des beaux-arts de Tama à Tokyo, le Japonais s'installe à Paris en 1965, imitant son compatriote Kenzo Takada (1939-2020). 

Les deux étudient à l'école de la Chambre syndicale de la Couture parisienne et deviennent amis.

Issey Miyake travaille d'abord comme apprenti chez Guy Laroche puis chez Givenchy. Mais sa vision de la mode a surtout été influencée par la révolte étudiante de mai 1968 à Paris: plutôt que de concevoir des vêtements pour quelques privilégiés, il décide d'inventer des habits universels et pratiques, «comme des jeans et des t-shirts», dira-t-il plus tard.

Il fonde en 1970 son studio de création à Tokyo, et ses premières boutiques ouvriront quelques années plus tard à Tokyo et Paris.

Tout au long des années 1980, alors que les magasins portant sa marque se multiplient, Issey Miyake fait rayonner son style en utilisant des matériaux jamais vus dans la mode jusqu'alors (plastique, fil de fer, papier artisanal japonais, crin, raphia...). L'art japonais du pliage (origami) l'inspire aussi.

Avec des chercheurs textiles et des ingénieurs modélistes au sein de son laboratoire de recherche-développement, il a également créé une fibre synthétique à partir d'une matière chimique recyclée, en partenariat avec une firme nippone.

«Mon travail a toujours été un processus d'équipe (...). On voit toujours les choses différemment quand on permet aux autres de faire partie d'un processus créatif», expliquait-il au New York Times en 2014.

Les stigmates de Hiroshima

Né le 22 avril 1938 à Hiroshima (ouest du Japon), Issey Miyake avait sept ans le 6 août 1945 quand les États-Unis ont largué la première bombe atomique de l'histoire sur sa ville natale, faisant 140.000 morts et traumatisant à vie les rescapés.

«Quand je ferme les yeux, je vois encore des choses que personne ne devrait jamais vivre: une lumière rouge aveuglante, le nuage noir peu après, des gens qui courent dans toutes les directions en tentant désespérement de s'échapper – je me souviens de tout ça», avait-il témoigné en 2009 pour plaider en faveur du désarmement nucléaire.

Sa mère est morte trois ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale des suites des radiations provoquées par la bombe. Et lui-même a enduré de grandes souffrances physiques qui ont handicapé sa marche.

Mais pendant longtemps, Issey Miyake avait évité de parler de son expérience de survivant de Hiroshima, de peur d'être catalogué comme tel ou de paraître «pathétique».

Il préférait «penser à des choses qui peuvent être créées et non détruites, et qui apportent de la beauté et de la joie», avant de réaliser tardivement qu'il avait «une responsabilité personnelle et morale» de s'exprimer aussi sur ce thème douloureux.