PsychoPourquoi les victimes de viols témoignent sur Twitter?
Relax
12.2.2021 - 11:08
Rompre le silence. Depuis les révélations du livre de Camille Kouchner, les témoignages de victimes de viols ont déferlé sur Twitter. Les hashtags «MeTooInceste», «MeTooGay» ou «#SciencesPorcs», des étudiantes de Sciences Po, continuent d'être parmi les sujets les plus commentés sur Twitter en France. Pour Patrick-Ange Raoult, psychologue clinicien, ce phénomène doit être surveillé de près. Entre parole libérée et volonté de vengeance, utiliser les réseaux sociaux pour dénoncer de tels abus peut bien évidemment aider les victimes, mais n'est pas forcément la meilleure des manières pour traiter ces traumatismes.
A chaque jour, son nouveau hashtag sur Twitter. Après les mouvements #MeToo, #MeTooInceste et #MeTooGay, le mot-clé «SciencesPorcs» s'est imposé sur la plateforme du petit oiseau bleu en France. Les étudiantes des Instituts d'études politiques (IEP), plus connus sous le nom de Sciences Po, ont pris la parole sur les réseaux sociaux ces derniers jours pour témoigner et dénoncer des agressions sexuelles. D'abord sur Facebook puis sur Twitter, le hashtag #SciencesPorcs a été lancé par Juliette, une étudiante de 20 ans de l'IEP de Toulouse, suivie par de nombreux autres témoignages tout aussi poignants.
Depuis le mouvement Me Too, Twitter reste le réseau social le plus utilisé pour dénoncer les agressions sexuelles. Un succès rencontré grâce à une prise de parole facilitée par l'écriture devant une foule sans visage : «L'écriture est plus facile parce qu'il y a une forme d'anonymisation en quelque sorte et un passage à l'acte impulsif. On s'adresse à personne et à tout le monde en même temps», explique Patrick-Ange Raoult, psychologue clinicien. Pourtant, de nombreuses personnalités, aussi bien politiques que médiatiques, qui affichent leur véritable identité sur Twitter ont révélé avoir été victimes de viols ou d'inceste.
Si la nouvelle génération est plus habituée à utiliser les réseaux sociaux pour faire passer ses messages, les personnes d'un certain âge ont également adopté ces pratiques. Une pratique déjà connue en clinique : «Le fait que des personnes de milieu de vie, au sens très large du terme, viennent révéler des situations d'agressions sexuelles, de viols ou d'incestes qu'elles ont subies, c'est quelque chose qu'on voit très souvent en clinique», explique le psychologue. «C'est l'équivalent d'une crise d'adolescence, avec une perte de renoncements, des bilans jamais très positifs, ce n'est donc pas étonnant de voir des gens âgés faire des révélations des traumatismes qu'ils ont subis», ajoute-t-il. «Il y a une scénarisation publique de ces drames personnels, après toutes les émissions qu'il y a pu y avoir où les gens ont besoin en quelque sorte de mettre sur la scène publique des choses intimes et très personnelles. Cela fait partie d'une dynamique».
«Un cri poussé socialement»
Pourtant pour Patrick-Ange Raoult, ces innombrables messages sur la toile sont à prendre et à utiliser avec précaution: «Je suis un peu dubitatif. Je pense que cela a une fonction d'évacuation mais cela n'a pas une fonction d'élaboration, c'est-à-dire que ça permet de se décharger, mais ça ne permet pas de dépasser le traumatisme qu'on a eu», précise le psychologue.
Bien que ces dénonciations en ligne soient souvent accompagnées de messages de soutien, ce processus n'est pas suffisant pour que la victime résolve ces traumatismes et peut parfois même se retourner contre elle. «Je pense que le risque de retour de bâton peut être difficile à vivre après coup. On pourrait tout à fait avoir des messages beaucoup moins amicaux après, un impact sur la vie sociale et sur la vie privée non négligeable. Je crois qu'on ne mesure pas les conséquences d'une publication sur les réseaux sociaux ni son devenir», prévient Patrick-Ange Raoult. «J'entends bien la manière de faire passer des revendications ou de souligner des problématiques, mais est-ce qu'il faut s'exposer à ce titre là?», s'interroge-t-il.
Pourtant, le psychologue voit cette prise de parole en ligne comme «un cri poussé socialement» et ce besoin de faire passer la honte de l'autre côté : «C'est une façon d'essayer de sortir de la honte et de la renvoyer à leur agresseur». Une pratique plus que compréhensible mais qui reste dangereuse. «C'est toute l'ambivalence. Il y a un côté positif et d'autres côtés plus obscurs qui poussent les gens à faire ces révélations. Il y une haine contre l'agresseur, la volonté de tuer l'autre et de s'en venger. [...] C'est une revendication d'une certaine manière, mais est-ce que pour autant cela libère, je n'en suis pas sûr», s'inquiète-t-il. «C'est un cri, ce n'est pas l'écoute de quelqu'un dans une relation privilégiée», conclut-il.