Chronique Prenez garde, les mamans-taxis sont de retour

Marianne Siegenthaler

30.8.2018

Le chemin de l’école est le dernier espace où les enfants ne sont pas sous la surveillance d’un adulte.
Le chemin de l’école est le dernier espace où les enfants ne sont pas sous la surveillance d’un adulte.
Keystone

À peine les vacances sont-elles terminées, qu’elles envahissent déjà les rues et les trottoirs autour des écoles… Prenez garde: les mamans-taxis sont de retour.

Soit nos parents étaient complètement naïfs, soit ils se souciaient peu de nous, soit ils nous faisaient confiance aveuglément. Mais comment expliquer qu’ils nous laissaient, alors enfants, emprunter le chemin de l’école tout seuls? Et nous exposaient aux mêmes dangers que ceux d’aujourd’hui?

Il fallait traverser de dangereux carrefours sans même avoir la priorité sur les passages cloutés. Les zones 30 n’existaient pas, contrairement aux «chiens méchants» dont on ne savait jamais s’ils étaient bien attachés ou pas. Et puis la route semblait s’éterniser jusqu’à ce que, du haut de nos petites jambes, on arrive enfin à l’école.

Et pourtant, on en a savouré chaque instant. Le chemin de l’école était synonyme de liberté. À mille lieues de l’autorité parentale. On en avait bien besoin. On s’aventurait sur le Mühliweiher gelé, malgré l’interdiction formelle qui nous était faite. Ou on hurlait tous les pires gros mots qui nous auraient valu d’être privés d’argent de poche à la maison.

Les plus petits peuvent aussi être accompagnés… à pied.
Les plus petits peuvent aussi être accompagnés… à pied.
schulweg.ch

Et on se disputait aussi. On guettait l’arrivée de Küde et de son fidèle compagnon, on les bombardait de pommes de pin. Ou on s’étalait des baies écrasées à même les bras et les jambes. Sur la route du retour, tout était bon pour retarder l’arrivée de notre bande (top secrète) à la maison. En bref, le chemin de l’école représentait, pour moi et de loin, le meilleur de ma scolarité - après les vacances.

Une vingtaine de mètres

Aujourd’hui, il n’en reste pas grand chose. Pour certains enfants, la route de l’école ne dépasse pas les vingt mètres. Qui d’ailleurs ne passent plus sous quelconque radar. À peine l’enfant s’éloigne-t-il du champ de vision de sa mère, qu’il apparaît dans celui de son maître ou de sa maîtresse. Ou inversement. Les mamans attendent, voitures garées sur les parkings et les trottoirs, que leur trésor rejoigne ou quitte l’école sain et sauf.

Ainsi, deux à trois fois par jour, j’assiste à cette scène de va-et-vient depuis la fenêtre de mon bureau. Les unes après les autres, elles garent leur voiture sur des places de parking privées aux abords de l’école. Elles y rangent plus ou moins habilement leur SUV pour que monte ou descende leur progéniture. Puis, en ouvrant et fermant les portes et le coffre, elles ne manquent jamais de laisser une ou deux égratignures au passage. Vite on y va, marche arrière, et hop, on repart.

La présence d'autre enfants alentours n’en inquiète aucune. Ça leur est parfaitement égal. Moi pas, en revanche. C’est pourquoi je me suis déjà adressée à l’une de ces mamans-taxis après qu'elle a manqué d'écraser un bambin en faisant marche arrière. «Que je me mêle de mes affaires», m'avait-elle conseillé. Très bien.

Aujourd'hui, les rangées de voitures font partie du paysage devant les bâtiments des écoles.
Aujourd'hui, les rangées de voitures font partie du paysage devant les bâtiments des écoles.
Keystone

Quand même, comment peut-on être idiot au point de ne pas voir que le pire danger sur la route de l’école, c’est justement ces mamans-taxis? Parce qu’elles occupent tout le trottoir. Parce qu’elles démarrent en marche arrière sans regarder où elles vont.

Parce qu’elles font des manœuvres qui contraignent le piéton à contourner les voitures. Parce qu’elles roulent à du 50 à l’heure dans des zones 30. Et parce qu’elles sont constamment distraites, téléphone portable en main. Tant de sans-gêne et d’ignorance, c’est surprenant.

Le costume de super-maman

Et à mon sens, il ne s’agit pas seulement de la sécurité des enfants. Ces courses sont cruciales dans l’agenda de leurs activités. Ces mamans ne travaillent pas, évidemment, puisque cela ne serait pas conciliable avec le boulot de chauffeur. À moins qu’elles soient auteures à succès. Ou consultantes freelance en tri et recyclage organiques. Mais fort heureusement, conduire et récupérer les enfants à l’école rythme leur paisible routine.

Cela leur donne l’occasion d’enfiler leur costume de super-mamans. Contrairement à d’autres, elles prennent le temps et déploient l’investissement nécessaire au soutien de leurs enfants au quotidien. Et ce alors qu’elles ont une pléthore d’autres choses à faire.

C’est pourquoi elles sont constamment pressées. Afin d’arriver à l’heure au cours de yoga. Ou chez le coiffeur. Ou au café prévu avec les copines. Alors marche avant, lunettes sur le nez, téléphone branché et en avant toutes. Après tout, on peut aussi régler l’une ou l’autre chose au volant d’une voiture. Comme sauver des vies par exemple. Ou des jobs. Ou le monde.

Trêve de plaisanterie. Elles papotent sûrement avec une amie, se commandent une pizza pour le lunch ou réservent leur rendez-vous pour un drainage lymphatique. Elles sont parfaitement surmenées jusqu’à leur prochaine mission quand la fin des cours retentit.

À pied, ça marche aussi

Loin de moi l’idée de minimiser les peurs d’un papa ou d’une maman. J’ai moi-même une fille pour laquelle je me fais du souci lorsqu’elle se rend à l’école. C’est pourquoi je l’ai accompagnée au début... à pied.

En Suisse, le trajet moyen en direction de l’école ne dépasse pas les 1500 mètres. Près de la moitié de chemins empruntés par les enfants n’atteint pas les 500 mètres. C’est faisable. Même pour les plus petits. Et cela ne ferait pas de mal à Papa ou à Maman de faire quelques mètres à pied. On peut discuter l’un avec l’autre. Oui, c’est ça. Ensemble. D’une personne à l’autre. Sans téléphone. Jusqu’au jour où l’enfant parvient à se rendre à l’école, seul ou même avec ses camarades de classe.

Nul doute qu’il fera des choses que ses parents ou ses instituteurs lui ont interdites. Et c’est bien ainsi. Tout enfant a besoin de son espace de liberté. Un espace qui ne devrait pas être restreint par l’ignorance et l’arrogance des maman-taxis ou par celle de leurs propres enfants, ou de leurs camarades de classe.

Leçon de style de mère en fille

Stars enceintes: stylées!

Retour à la page d'accueil