S'approprier son corps Règles: plus visibles mais encore taboues

ATS

7.1.2019 - 09:56

Même si les règles ont gagné en visibilité dans l'espace public, le sang menstruel provoque encore du rejet et du dégoût (image d'illustration).
Même si les règles ont gagné en visibilité dans l'espace public, le sang menstruel provoque encore du rejet et du dégoût (image d'illustration).
Source: KEYSTONE/SALVATORE DI NOLFI

Trois cuillères à soupe, c’est en moyenne la quantité de sang qu’une femme perd durant chaque cycle. Une quantité sans aucune mesure avec l’énorme tabou qui pèse sur le sang menstruel depuis des siècles. Il semble toutefois se fissurer.

Ces dernières années, ce sang tant décrié a été affiché dans l’espace public par des personnes qui ont ainsi tenté de briser le tabou associé aux règles. En 2015, l’artiste indo-américaine Kiran Gandhi a par exemple couru le marathon de Londres sans protection périodique. En octobre 2017, le groupe d'activistes féministes Insomnia Riot a, lui, symboliquement coloré plusieurs fontaines parisiennes en rouge.

Infertilité croissante

Auteure de "Ceci est mon sang. Petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font", Elise Thiébaut ne saurait identifier un élément déclencheur de cette visibilité accrue des menstruations. "C’est sans doute la première fois, dans l’histoire de l’humanité, que nous avons autant nos règles: 450 à 500 fois dans une vie", a-t-elle expliqué à Keystone-ATS.

Et d’avancer deux autres phénomènes: une prise de conscience accrue des maladies liées aux règles, telle que l’endométriose, et l’infertilité croissante.

Alors que l’accès à la contraception - que de nombreuses femmes ont accueilli comme une libération - a marqué la génération précédente, celles qui viennent sont confrontées à une infertilité croissante. En France, un couple sur quatre consulte pour ce motif, souligne-t-elle. Cela rend les femmes, mais aussi les hommes, plus attentifs aux cycles menstruels.

Les règles, au naturel

Parallèlement à ces éclats publics et médiatiques, on a aussi assisté ces dernières années à une hausse de la demande pour des espaces de discussion et une gestion plus naturelle et écologique des règles.

Valentina Salonna officie depuis huit ans comme conseillère en symptothermie, une méthode de contraception et de conception naturelle basée sur l’observation de plusieurs critères combinés, dont la température et la texture de la glaire cervicale. Depuis cinq ans, elle a constaté une "nette augmentation" des demandes.

Dans son cabinet lausannois, elle accompagne désormais environ 150 femmes âgées de 18 à 55 ans chaque année. Malgré cela, la symptothermie "reste un phénomène de niche, reconnaît-elle, mais une niche qui grandit".

L’Italienne d’origine attribue cette hausse d’intérêt à plusieurs facteurs et notamment aux scandales qui ont éclaté autour de la pilule. Elle y voit aussi l’influence du mouvement de bénédiction de l’utérus et du phénomène connexe des tentes rouges qui ont émergé dans les années 2000 et s’inscrivent dans le renouveau du New Age et de la spiritualité alternative.

La bénédiction de l’utérus consiste en un soin énergétique qui vise à aider la femme à se reconnecter à sa cyclicité et au féminin sacré. Inspirées de coutumes africaines, celtiques et amérindiennes, les tentes rouges sont des cercles de paroles dans lesquels les femmes échangent sur des thématiques féminines, dont les règles.

S'approprier son corps

Les clientes qui frappent à la porte de Valentina Salonna se trouvent en général dans une démarche de développement personnel et ont déjà mené une réflexion de nature écologiste et/ou féministe. "C’est tout un cheminement", explique Cécile, la quarantaine, qui a entamé une réflexion sur comment gérer ses règles de façon plus naturelle durant et suite à sa grossesse.

"Je voulais m’approprier mon corps. Je dis approprier et pas réapproprier parce que je n’ai pas l’impression que mon corps m’ait appartenu avant", explique-t-elle.

Et d’évoquer le contrôle social et médical dont fait l’objet le corps de la femme: "On nous apprend à douter de nos corps depuis la puberté. Comment avoir confiance en son corps, en sa capacité à gérer sa fertilité et son flux s’il faut qu’un médecin contrôle ça au moins une fois par an? Est-ce qu’on dit à un garçon 'va chez le médecin avant de coucher'? Est-ce qu’il va se faire examiner le sexe tous les ans?"

Tabou toujours présent

La plus grande visibilité des règles dans l’espace public et médiatique ne signifie pas encore la fin du tabou les entourant. Pour Elise Thiébaut, il s’agit d’une "étape nécessaire pour banaliser le tabou, le neutraliser, à travers des gestes un peu héroïques". Changer les mentalités à plus large échelle prendra plus de temps. Un tabou vieux de plusieurs millénaires ne s’efface pas si facilement.

"Aujourd’hui encore, on a tendance à éprouver une sorte de répulsion intime, de rejet de ce sujet, qu’on n’a pas du tout de façon comparable pour d’autres fluides – y compris le sperme d’ailleurs", ajoute la Française.

Le potentiel médical du sang menstruel contribuera peut-être à changer son image. Depuis 2008, on sait qu’il contient des cellules-souches, qui pourraient potentiellement soigner de multiples maladies. Comme le souligne Elise Thiébaut, cette découverte "change complètement le regard que l’on peut porter sur les règles: non pas un déchet, mais une source de vie".

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