Japon Au Japon, la passion des trains fait parfois dérailler les esprits

Relax

27.3.2022 - 18:07

Foules, altercations et parfois même agressions. Les légions de fanatiques de trains au Japon sont le plus souvent d'inoffensifs passionnés du réputé système ferroviaire du pays, mais un petit groupe d'entre eux attire l'attention sur les dérives de ce passe-temps.

Ces images, publiées dans des magazines de niche à destination des toritetsu, montrent souvent une vue des trains sans "intrus" (barrières, arbres, passagers...)
Ces images, publiées dans des magazines de niche à destination des toritetsu, montrent souvent une vue des trains sans "intrus" (barrières, arbres, passagers...)
Philip FONG / AFP

Les trains nippons sont depuis longtemps admirés au Japon et dans le monde entier pour leur technologie de pointe, leur ponctualité et leurs grilles d'horaires méticuleuses.

De nombreuses communautés d'aficionados gravitent autour des chemins de fer, de ceux capables de réciter les horaires des trains aux passionnés enregistrant leurs bruits, en passant par les amoureux des paniers-repas vendus dans les gares ou tout simplement les collectionneurs de trains miniatures.

Le Japon comptait quelque cinq millions de ces fans en 2015, selon Nobuaki Takada, consultant pour la compagnie NRI Social Information System Services.

La plus célèbre de ces tribus de passionnés est celle des «toritetsu» (ceux qui «prennent les trains en photo"), qui n'ont de plus grand plaisir que de chercher à réaliser le cliché parfait d'une rame à l'approche.

Les toritetsu existent depuis des décennies, mais ont parfois attiré l'attention ces dernières années pour leurs altercations, leurs intrusions dans des zones interdites et même des violences.

Si les adieux ardents à de vénérables locomotives accomplissant leur dernier trajet étaient déjà monnaie courante dans les années 1960 et 1970, des faits récents comme le harcèlement d'un cycliste s'étant invité sur une photo de train et l'agression l'an dernier d'un adolescent inquiètent les fans.

Quête du cliché parfait

«Les comportements ont empiré, c'est sûr», déplore Masao Oda, photographe amateur de convois ferroviaires depuis 50 ans.

«Maintenant, les gens me montrent du doigt» pendant les séances photos, regrette Akira Takahashi, 27 ans, qui voue un amour sans bornes à la locomotive électrique dite «classe EF66», mise en service au Japon en 1966.

«Notre image est devenue majoritairement négative», dit à l'AFP celui qui ne veut pas «être mis dans le même sac que ceux qui causent des problèmes».

Ryunosuke Takagai, un étudiant de 19 ans, se lève parfois à 05H00 du matin pour partir en chasse et travaille à l'occasion à temps partiel dans des usines pour financer sa passion et dit «tout» aimer au sujet des trains: «leur bruit, leur aura...».

«Ce moment où vous arrivez à capturer le train que vous avez attendu pendant des heures est vraiment gratifiant», s'exclame-t-il.

Le comportement de plus en plus agressif de certains toritetsu est lié à leur quête du cliché parfait, selon le journaliste spécialisé Jun Umehara qui a travaillé pour l'un des plus célèbres magazines ferroviaires au Japon.

Il s'explique aussi par un moins grand nombre de locomotives mises à la retraite, selon lui. «Chaque train a son baroud d'honneur qui, pour eux, est la dernière pièce du puzzle pour leur collection de photos».

«L'idée de ne pas avoir cette dernière pièce est presque intolérable», ajoute-t-il. D'où leur comportement parfois «désespéré».

«Les toritetsu sont une culture»

Le développement urbain a aussi fait disparaître certains «spots» à images, rendant encore plus difficile la prise de photos s'approchant de celles qu'ils considèrent comme des références.

Ces images, publiées dans des magazines de niche à destination des toritetsu, montrent souvent une vue des trains sans «intrus» (barrières, arbres, passagers...)

«Imiter ces clichés dans la vie réelle est quasiment impossible», note M. Umehara. «Mais c'est ce qu'ils recherchent malgré tout».

Face aux fans s'aventurant dans des espaces interdits, les compagnies ferroviaires ont souvent dû accroître la sécurité de leurs installations.

La compagnie JR East, desservant toute la moitié nord de l'île principale du Japon, y compris sa capitale, a cependant renversé la vapeur l'an dernier en lançant un fan club pour les passionnés de trains.

«On peut compter sur les toritetsu pour prendre de magnifiques photos de nos trains et les promouvoir sur internet», reconnaît Yusuke Yamamoto, responsable du projet.

«Alors plutôt que de les traiter comme nos ennemis, nous voulions bâtir une bonne relation avec eux», pour que cette communauté casse les préjugés, dit-il en citant en exemple les fans de manga et d'animation, moins isolés socialement depuis que leur passion a conquis le grand public.

«Les toritetsu sont une culture, et j'espère que cette image va changer», dit M. Yamamoto.