«Dire que le Qatar a commencé à jouer au foot il y a dix ans, n'est pas conforme à la réalité»: l'histoire de l'équipe nationale, qui débute son premier Mondial dimanche, est ancienne. C'est ce que rappellent ceux qui ont contribué à faire progresser le football dans le petit émirat gazier, à l'instar de l'ancien sélectionneur Jorge Fossati.
Le petit émirat du Golfe a découvert le ballon rond dans les années 1940, avec les travailleurs étrangers venus exploiter ses ressources pétrolières. Il a disputé son premier match international en 1970 et atteint la finale de la Coupe du monde des moins de 20 ans en 1981 avec une équipe de joueurs nés de parents qataris, qui avait notamment éliminé le Brésil (3-2) et l'Angleterre (2-1).
Après l'indépendance du pays en 1971, «l'émir souhaite construire sa figure autour d'une équipe de foot solide», explique Raphaël Le Magoariec, spécialiste de la géopolitique du sport des pays du Golfe à l'université de Tours en France.
Naturalisations en masse
Mais à partir du milieu des années 1990, «avec l'enrichissement de la société, la jeunesse qatarie n'est plus encline à poursuivre une carrière sportive», poursuit Le Magoariec. «Le Qatar va donc commencer à naturaliser des sportifs issus de communautés arabes (Soudanais, Égyptiens, Irakiens) vivant à Doha.»
«Quand je suis arrivé, l'équipe nationale était composée de joueurs issus de pays étrangers qui avaient déjà une culture de foot, des Africains et des voisins du Qatar qui étaient naturalisés», confirme le Français Philippe Troussier, nommé sélectionneur en 2004.
«Créer une attractivité sportive»
«Il n'y avait pas beaucoup de ressources humaines (à peine 750'000 ressortissants, NDLR) et le football n'était pas une pratique régulière», faute d'intérêt, mais aussi d'infrastructures et de formateurs, ajoute le Français. Troussier constate toutefois chez les dirigeants du pays (notamment le futur émir, Cheikh Tamim, et son frère, Cheikh Jassim) «un élan pour créer une attractivité sportive en organisant des tournois majeurs (à commencer par les Jeux asiatiques en 2006, NDLR) et en dotant le pays d'infrastructures».
Le Qatar se lance dans le recrutement d'entraîneurs étrangers et de joueurs de dimension internationale en fin de carrière pour développer ses clubs et sa sélection. Arrivé dans l'émirat en 2006 pour entraîner l'équipe d'Al Sadd, Fossati se souvient que «les joueurs locaux manquaient d'une mentalité professionnelle» mais qu'il n'a pas été difficile de les faire changer. «Ils ne l'étaient tout simplement pas parce que personne ne le leur avait demandé», raconte l'Uruguayen.
Dans l'équipe nationale, dont il prend les commandes en 2007 et 2008, «c'était la même chose» mais le technicien a pu se baser sur les joueurs d'Al Sadd déjà passés sous ses ordres. «Déjà en 2011 (lorsqu'il retrouve le banc d'Al Sadd, NDLR), les footballeurs avaient une autre mentalité.»
Ecole espagnole
En 2004, le Qatar fonde aussi l'Académie Aspire, chargée de former les athlètes qui le représenteront dans l'avenir, nés dans le pays (souvent de parents étrangers) ou identifiés enfants en dehors des frontières de l'émirat. La même année, la FIFA restreint les conditions de naturalisation des joueurs, ce qui rend le projet crucial pour constituer l'équipe nationale, formée selon les préceptes de l'école espagnole. L'actuel sélectionneur Félix Sanchez y a pris ses quartiers en 2006, encadrant les futurs grands noms de la sélection (dont les attaquants Akram Afif et Almoez Ali).
«Cette stratégie de construction de long terme est complètement étonnante au Qatar, où on est dans l'éphémère, les changements d'entraîneur, etc», commente le Français Christian Gourcuff, entraîneur du club d'Al Gharafa (anciennement Al-Ittihad) en 2002-2003 et 2018-2019.
Premier titre majeur
Promu en 2013 à la tête de la sélection des moins de 19 ans, Sanchez l'amène à la victoire dans le championnat d'Asie en 2014. Devenu sélectionneur des «grands» en 2017, le technicien espagnol offre au pays son premier titre majeur: la Coupe d'Asie des nations en 2019, avec des victoires, au fil de la compétition, face à trois puissances du football asiatique, l'Arabie saoudite (2-0), la Corée du Sud (1-0) et enfin le Japon en finale (3-1).
Et le Qatar se rode au plus haut niveau en enchaînant les invitations à participer à des compétitions continentales majeures, comme la Copa América 2019 (zone sud-américaine) ou la Gold Cup 2021 (zone Amérique du Nord, centrale et Caraïbes).
Le prochain jalon, pour Sanchez et pour le Qatar, serait de voir l'hôte du Mondial 2022 sortir de son groupe A (avec Equateur, Pays-Bas et Sénégal) pour atteindre les huitièmes de finale de «son» Mondial.