«La meilleure équipe que j'ai affrontée en tant que manager.» Ce soir de mai 2011, Sir Alex Ferguson a vu sa longue expérience mise à l'épreuve: le FC Barcelone de Pep Guardiola donna une leçon à son Manchester United (3-1).
Il y a des déclarations qui prennent plus de sens que d'autres. Surtout quand elles sont prononcées par un Ecossais qui avait passé vingt-cinq ans sur le banc des Red Devils. «Sir Alex» restera encore deux ans, mais ce samedi soir à Wembley sonnait déjà comme l'apogée du Barça de «Pep». Des buts de Pedro, Lionel Messi et David Villa consacraient une domination absolue.
A la tête des Blaugrana, Guardiola aura remporté deux Ligues des champions. En 2009, pour sa première saison sur ce banc, et en 2011. A chaque fois contre Manchester United en finale. Et si l'année 2009 restera comme celle des six titres (Liga, Coupe du Roi, Supercoupe d'Espagne, Supercoupe d'Europe et Mondial des clubs, en plus de la C1), elle n'était finalement qu'une étape transitoire vers l'image que devait laisser le Barcelone de cette époque.
Le Barça de la Masia
Bien sûr, en 2009, à Rome, avec Samuel Eto'o et Thierry Henry pour accompagner Messi sur le front de l'attaque, le Barça avait déjà «de la gueule». Sergio Busquets et Gérard Piqué s'étaient révélés, Andres Iniesta (sorte de héros initiatique avec son but qualificatif au bout de la demi-finale contre Chelsea) faisait son entrée dans la cour des plus élégants joueurs du monde, pendant que Xavi et Carles Puyol tenaient leur maison.
C'était le Barça de la Masia, celui où l'on ne se cachait plus pour parler le catalan en Mondovision. Guardiola, égérie du catalanisme, était arrivé à l'été 2008, pour succéder à Frank Rijkaard. Il venait de l'équipe B, en troisième division. On lui demandait de passer après le Néerlandais, qui avait remporté la Ligue des champions en 2006. Il y avait peut-être plus dur. Car le projet Rijkaard, celui où Ronaldinho décidait de faire briller les autres mais souvent lui-même, où Deco était un incroyable milieu de terrain, s'était délité.
Guardiola avait 37 ans et assumait dès sa première conférence de presse ses idées: «Pour l'instant, j'envisage l'équipe sans Ronaldinho, ni Deco, ni Eto'o, parce que je le pense comme cela, je le ressens comme cela.» Les deux premiers sauteront, le Camerounais tiendra encore une année, jusqu'à ouvrir le score lors de la finale de Rome. Mais voilà, Pep savait où il voulait aller. «Je sais quel style je veux et je serais incapable de gagner sans transmettre ce que je ressens. Je suis un fan du football d'attaque, à cause de ma formation mais aussi à cause d'un détail très simple: quand le ballon est dans la surface adverse, je me sens plus tranquille que lorsqu'il est dans la nôtre», avait-il encore dit lors de son intronisation.
Avec le recul, l'évidence semblait imparable: il allait se passer quelque chose à Barcelone. Et puis, il y a ces détails que l'on tend à oublier, ces petites histoires sans quoi la grande histoire ne serait rien. Dès la première journée de Liga, le Barça et Guardiola perdaient à Numancia (1-0). Lors de la seconde, ils ne firent que 1-1 contre le Racing Santander au Camp Nou. Scepticisme. Avant la roue libre. Le chemin était tracé, avec en prime un succès 6-2 à Santiago Bernabeu dans le Clasico début mai. Ce jour-là, après seulement quelques minutes de jeu, Lionel Messi était replacé en «faux-9». Fabio Cannavaro, alors au Real Madrid, n'y comprit rien et le football prit une autre dimension. Trois jours plus tard, Didier Drogba dénonçait une «fucking disgrace», mais Pep avait déjà sprinté le long de la touche pour se congratuler avec les siens.
Une suprématie parsemée d'embûches
Mais sur la route vers la suprématie de ses idées, Guardiola a eu plus d'une embûche. La saison 2009-10 est celle de la Manita, mais elle est aussi et surtout celle de l'index de José Mourinho, pointé vers la nuit barcelonaise, après que le Barça n'est pas parvenu à renverser l'Inter en demi-finale. Une saison où Zlatan Ibrahimovic a démontré que tous les meilleurs joueurs ne sont pas faits pour Guardiola.
Le Suédois a été un échec en pointe. Pour le remplacer, le Barça se tournera d'abord vers David Villa, buteur hors pair devenu rouage au service du collectif une fois en Blaugrana. La victoire en Ligue des champions en mai 2011 sera un premier aboutissement. Mais il fallait aller au bout du concept. Alors, à l'été, l'attaquant de pointe engagé fut un milieu de terrain. Cesc Fabregas revenait à la maison et signait le début du «Barça des milieux». Dans le nouveau modèle que Guardiola proposait, jouer au football signifiait maîtriser à la perfection la balle et créer des espaces en associant la passe au mouvement. La méthode a un nom, «jeu de position», qui ne sonne en rien avec le «tiki-taka» que l'on a voulu lui associer («c'est tellement stupide et ça n'a aucun sens», dit Pep à son sujet).
Alors à partir de là, on jouerait avec des joueurs à la technique parfaite, mais surtout à la sensibilité tactique hyper élevée. Il faudrait savoir faire avancer le jeu et patienter jusqu'au moment idoine pour faire la différence. Le buteur serait celui qui marquerait, pas celui qu'on désignerait. Même si tout cela finirait souvent par être Villa ou Messi.
Fin 2011, avec la victoire en Coupe du monde des clubs contre Santos, le paroxysme était atteint, mais d'aucuns commençaient déjà à en avoir marre de la méthode. Il fallait être Guardiola ou Mourinho, Barça ou Real, Messi ou Ronaldo. La rivalité devint parfois une haine, au point de dévaloriser ces idées et de se féliciter quand un Chelsea minimaliste mit fin au rêve de doublé au printemps 2012. Guardiola était déjà fatigué. Il se retirera au terme de la saison. Et si son football a continué à briller, au Bayern puis à City, l'attente d'une troisième Ligue des champions se fait toujours plus longue.