Entre le Paris SG et Manchester City, c'est plus qu'une demi-finale de Ligue des champions. L'affiche, dont le match aller est prévu mercredi, met aux prises deux Etats concurrents du Golfe, le Qatar et les Emirats arabes unis, engagés dans une bataille d'influence dans le sport.
«Golfico», «Cashico», «Abou Derby»... Les réseaux sociaux réfléchissent encore au surnom à donner à cette rivalité. D'un côté, le PSG, le joyau de Qatar Sports Investments (QSI) depuis 2011, que Doha polit à coup de centaines de millions d'euros. De l'autre, Manchester City, transformé en 2008 en machine à gagner grâce aux ressources illimitées du fonds émirati Abu Dhabi United Group (ADUG), propriété du cheikh Mansour ben Zayed Al Nahyane.
En ajoutant leur obsession commune de remporter leur première Ligue des champions, ces deux «nouveaux riches» partagent beaucoup de similarités... Mais c'est oublier le long antagonisme qui sépare les deux voisins du Golfe. Leur rivalité a basculé en crise régionale en juin 2017 quand les Emirats, aux côtés de l'Arabie saoudite, Bahreïn et l'Egypte, ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, une rupture accompagnée de mesures économiques.
Ces Etats reprochaient à Doha, qui a démenti les accusations, de soutenir des groupes islamistes radicaux et de ne pas prendre assez de distance avec l'Iran, puissance régionale chiite rivale de l'Arabie saoudite sunnite.
«Beaucoup en jeu»
La réconciliation actée en janvier a permis de sortir le Qatar de l'isolement, et de favoriser l'apaisement... Mais «il y a toujours beaucoup en jeu», explique Simon Chadwick, professeur à l'EM Lyon. Dans ce contexte, le match PSG-Manchester City constitue un front dans la bataille pour le prestige à laquelle s'adonnent Doha et Abou Dhabi, qui veulent étaler leur réussite aux yeux du monde grâce au sport.
«L'animosité s'est quelque peu évaporée, mais la bataille pour être la première nation du Golfe dans le football demeure», poursuit le professeur. La crise diplomatique, doublée de la pandémie de Covid-19, n'a pas rogné leurs énormes ambitions.
Le Qatar continue les préparatifs pour «sa» Coupe du monde en 2022, malgré l'action coup de poing de plusieurs sélections européennes, l'Allemagne et les Pays-Bas en tête, pour attirer l'attention sur des atteintes présumées aux droits humains.
Pendant ce temps-là, le fonds ADUG, via sa société City Football Group, a élargi son portefeuille de clubs européens, avec l'acquisition en septembre de Troyes (L2), proche d'une remontée en Ligue 1... Où il pourra ferrailler avec le PSG.
Sur le plan diplomatique, les discussions entre le Qatar et les Emirats depuis la fin des hostilités n'ont que peu avancé, selon une source proche des négociations. Les deux Etats gaziers s'opposent sur plusieurs sujets, aussi bien la Libye, qu'Israël ou que les relations avec la confrérie islamiste des Frères musulmans.
Ils «ne peuvent pas se faire la guerre, mais ils peuvent se livrer dans des combats de rhétorique à travers les terrains de football», explique Moustafa Qadri, spécialiste de ces questions régionales.
Crise de la Super League
L'éphémère Super League a fourni un nouvel exemple de cette guerre d'influence, le PSG s'opposant à Manchester City, engagé aux côtés de 11 autres clubs (Real, Juventus, Barça...) pour créer un tournoi privé et quasi-fermé, qui garantirait des revenus plus élevés que la Ligue des champions.
Mais l'abandon rapide de ce projet a offert un triomphe au président parisien Nasser Al-Khelaïfi, qui s'est posé en défenseur de ceux qui «aiment le football», comme il l'a rappelé. Le dirigeant est sorti renforcé de cette crise, en étant nommé à la tête de l'Association européenne des clubs (ECA) à la place du discrédité Andrea Agnelli (Juventus), l'un des leaders de la «mutinerie» contre l'UEFA.
Le tacle est sévère pour City, qui s'est retiré du projet après avoir essuyé les critiques de son entraîneur Pep Guardiola, de ses joueurs et de ses supporters. «Abou Dhabi ne cherche pas à séduire comme le fait Doha, ce qui explique pourquoi Abou Dhabi n'a pas hésité à s'opposer à l'ordre établi», analyse Raphaël Le Magoariec, chercheur spécialisé dans les questions liées au sport dans les pays du Golfe.
Le Qatar a «une position plus consensuelle (vis-à-vis de l'UEFA, ndlr), alors qu'Abou Dhabi a plutôt été dans la confrontation», renchérit Simon Chadwick. «En théorie, l'UEFA ne doit pas favoriser un pays au détriment d'un autre. Mais on peut avoir la sensation que l'influence du Qatar a gagné un nouvel élan après l'échec de la Super League», estime-t-il. Reste à le prouver sur le terrain.