«Tout est fait pour nourrir l'imaginaire» lorsqu'on dessine le parcours du Tour de France, souligne, dans un entretien à l'AFP, son directeur Christian Prudhomme en présentant la philosophie de l'édition 2023 qu'il a dévoilée jeudi à Paris.
Ce retour au Puy de Dôme, vous en rêviez ?
«En arrivant chez ASO en janvier 2004, la première chose que j'ai tapée sur mon ordinateur était: objectif Puy de Dôme. Pour moi c'est l'un des plus forts symboles de la légende du Tour de France. C'est le duel mythique Anquetil-Poulidor des années 60, c'est un sommet emblématique, évident, unique, qui domine. Tu es au-dessus de Clermont-Ferrand, il y a cette montagne, tu ne vois que ça. Et surtout la route tourne à droite sans arrêt. Un escargot a quasiment 12% constants. Ça n'existe nulle part ailleurs.»
Pourquoi le Tour a-t-il mis autant de temps à revenir ?
«Dans la première ébauche du Tour 2012, j'ai écrit Puy-de-Dôme. Sauf que nous n'avions pas eu l'autorisation. Le Tour se nourrit des beautés de la France. On n'a aucune envie d'abîmer la chaîne des Puys, patrimoine mondial de l'Unesco. Mais il y a eu un changement de paradigme il y a une douzaine d'années. Avant, pour qu'on aille quelque part, il fallait que tout passe, y compris la caravane. Depuis c'est: +rendons la montagne aux champions+. Mais la condition sine qua non est que, dans les derniers kilomètres, les quatre derniers au Puy de Dôme, il n'y ait personne à part les coureurs, l'organisation et une retransmission télé.»
Le Tour va traverser les cinq massifs de montagnes...
«C'est rarissime, mais ce n'est pas inédit puisqu'on l'a fait en 2020. Il s'agit de montrer que, même si les Alpes et les Pyrénées sont incontournables, tu as d'autres terrains d'expression formidables. La différence se fait sur des pentes très raides. Et les pentes très raides, tu peux les trouver quasiment n'importe où.»
Un seul chrono, de 22 km, c'est vraiment très peu...
«On a déjà connu moins, 13,8 km en 2015. Mais oui, c'est très peu. Et en plus c'est un os!»
C'est un Tour pour grimpeurs ?
«Oui mais c'est toujours un Tour pour grimpeurs. On n'a plus cette dichotomie entre le rouleur type qui va essayer de limiter la casse en montagne et le grimpeur type qui est nul en contre-la-montre. On est à nouveau dans un cyclisme d'attaque, avec des coureurs capables de gagner à peu près partout.»
Il n'empêche que trente cols au programme, c'est beaucoup...
«C'est un record. Mais c'est aussi dû au fait qu'on part du Pays basque, au plus près des montagnes. On est pragmatiques, on s'adapte au terrain. Et donc tu as 3.300 mètres de dénivelé le premier jour. Ça fait au moins 50 ans qu'on n'a pas eu ça.»
D'où vient cette volonté d'entrer tout de suite dans le vif du sujet ?
«Pendant 40 ans, de 1967 et 2007, on a fait un contre-la-montre pour commencer. Et puis on a fait en sorte d'avoir les champions épaule contre épaule dès le premier week-end. Parce que c'est l'imaginaire. C'est: "t'as vu ? Il n'a pas répondu au démarrage. T'as vu l'autre, il était tout rouge ? Et lui il avait l'air bien ? Tout est fait pour nourrir l'imaginaire.»
Le tracé laisse pas mal de terres de cyclisme sur le côté. Il y aura des mécontents ?
«Si on superpose les cartes, on se rend compte qu'en cinq ou six ans, on va à peu près partout. On est partis en 2020 de Nice, au sud-est. En 2021 de Brest, à l'ouest. En 2022 tout au nord, de Copenhague, en redescendant par Dunkerque et Lille. Et là, on va partir de Bilbao, donc du sud-ouest. Il ne faut pas oublier non plus qu'aujourd'hui le Tour fait dans les 3.500 km. On est loin des 4.500 de mon enfance ou des 5.700 des années 1920. Donc, tu ne peux pas aller partout.»
Cette année il n'y a pas de gros transferts, une manière de répondre à un impératif écologique ?
«Le parcours du Tour 2023 est ramassé. Ça veut dire moins de déplacements. Mais je ne veux pas le mettre trop en avant. Pourquoi? Parce que là c'est possible. A l'ouest de cette droite qui va du Pays basque à l'Alsace, il n'y a pas de montagne mais il y a une ferveur, une passion pour le vélo. Et bien sûr qu'on va y retourner! Mais quand ce sera le cas, on va forcément faire de la distance. L'écologie, naturellement qu'on y pense. Dès qu'il est possible de moins bouger, on le fait. Mais ce n'est pas possible partout.»
Ce sera le 25ème départ de l'étranger, que vous continuez à défendre ?
«Non seulement je le défends mais je le revendique. Quand on part de l'étranger, on transmet la passion. On l'a vu de manière incroyable avec les Danois. C'était dingue, c'était beau. Si on fait en sorte qu'à l'étranger on s'intéresse à notre pays à travers le Tour, c'est pour moi plutôt pas mal. Mais ça va avec Moirans-en-Montagne, avec Poligny, avec Saint-Léonard-de-Noblat. Le Tour de France, c'est de très grandes villes françaises et étrangères, c'est des villes moyennes et c'est des petits villages. L'un ne va pas sans l'autre.»