Beau, excitant, spectaculaire, Nikola Jokic ne le sera jamais assez pour la NBA. Pas de quoi contrarier le double MVP, d'ores et déjà un des basketteurs les plus talentueux de l'histoire, prêt à guider Denver à un premier sacre de champion contre Miami.
En 2014, on fit bien peu cas – sinon chez les Nuggets, qui n'imaginaient toutefois pas à quel point ils décrochèrent le jackpot – de l'arrivée du Serbe dans la ligue. Sélectionné en 41e position de la draft, il n'avait pas eu droit à ce petit instant de gloire en direct à la télévision américaine, car son nom avait été appelé pendant une page de publicité vantant les produits d'une chaîne de fast-food tex-mex.
En neuf ans, ni l'excellence de son basket, ni ses nombreux accomplissements ne l'ont propulsé sous une lumière autre que celle du faisceau sportif. Car Jokic ne fait la pub d'aucun produit aux Etats-Unis, c'est tout juste s'il fait la promotion d'une bière en Serbie, et il n'a aucune paire de sneakers à son nom, bien qu'étant sous contrat avec Nike.
Il est d'ailleurs un des rares MVP dans ce cas, comme Dirk Nowitzki en 2007. Nul doute qu'à défaut de chausser des «Air Jokic», il signerait pour marcher nu-pieds dans les pas de l'ancien pivot allemand, sacré champion avec Dallas quatre ans plus tard.
Nez rouge, mains en or
Alors certes, son allure pataude, sa gestuelle non conventionnelle, son nez qui rougit sous l'effet de la climatisation, lui attribuent une faible note artistique, aux yeux des esthètes qui ne jurent que par le «showtime». Mais sa note technique est à l'opposé extrêmement haute, avec ses mains en or dignes de celles de Larry Bird, selon l'entraîneur Gregg Popovich, et ce «QI basket» très élevé dont rêverait tout meneur.
L'ancien joueur des Wizards Gilbert Arenas a pointé cette perception tronquée, qui détermine la popularité d'un joueur aux dépens de sa valeur, quitte à avoir des mots durs.
«Tout le monde s'en fout s'il devient champion, personne n'a envie de le regarder. Il ne va pas devenir une megastar, parce qu'il ne fait rien que les gamins aient envie de voir. Il a un super jeu, mais ce n'est pas excitant (...). Il faut être un fan invétéré du basket pour comprendre ce que le +Joker+ fait. Les autres ne jurent que par les 3 points de loin, les dunks ou... les Lakers. On sait ce que Jokic fait, c'est à ça qu'une équipe qui gagne ressemble.. Mais la NBA ne repose pas là-dessus, elle repose sur les stars», a-t-il argué.
Ne pas être «bankable» n'est pas de nature à contrarier le Serbe, toujours prompt à l'autodérision. «Moi en déséquilibre? J'ai été en déséquilibre toute ma vie, donc c'est normal pour moi», a-t-il récemment plaisanté à propos de son shoot signature, en arc-en-ciel et sur une jambe, qui fit si mal aux Lakers.
MVP en tenue de jockey
Le Serbe, qui tourne à 29,9 points, 13,2 rebonds et 10,1 passes de moyenne (à 54,4% aux tirs et 47,1% à trois points) dans ces play-off (avec déjà huit triple doubles, soit un de plus que l'ancien record de Wilt Chamberlain), fait néanmoins l'unanimité auprès des grands.
Sitôt éliminé en finale de Conférence Ouest, LeBron James lui a tiré son chapeau: «je sais à quel point il est génial. Vous êtes toujours déstabilisé lorsque vous défendez sur lui. Il voit le jeu avant tout le monde. Il n'y a pas beaucoup de joueurs comme ça».
«Jokic restera l'un des plus grands pivots de tous les temps», a prophétisé Kevin Durant, pourtant assez avare en compliments, après avoir été lui aussi écarté avec les Suns. «Le +Joker+ est en train de changer le jeu sous nos yeux, comme Michael (Jordan), Larry (Bird), LeBron( James), Steph (Curry), Kobe (Bryant), Kareem (Abdul-Jabbar) et Shaq (O'Neal)», a tweeté, l'ancienne gloire Magic Johnson, qui peut évidemment s'ajouter à cette liste.
Ces lauriers si bien tressés ne semblent pas devoir déstabiliser cet homme paisible, que rien n'émeut plus que ses chevaux. C'est d'ailleurs en tenue de jockey qu'il avait reçu l'an passé son deuxième trophée de MVP, en Serbie, son pays, où la star ultime Novak Djokovic dit être l'un de ses plus grands fans. «Il est la fierté de la Serbie», a ainsi clamé «Djoko» lundi, en marge de Roland-Garros. «Il est tellement humble», a ajouté «Nole».
Un avis partagé par l'entraîneur des Nuggets, Michael Malone. «Le succès, l'argent, la célébrité n'ont jamais changé ce type. C'est rare dans ce milieu», a-t-il salué.