Le mano a mano entre Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar risque d'être arbitré par d'autres paires de jambes: celles de leurs équipiers, plus en vue chez Jumbo-Visma qu'au sein d'UAE-Emirates dans la première partie du Tour de France.
Passage en revue et étalonnage des formations des deux archi-favoris avant le retour de la montagne dès vendredi avec l'arrivée au sommet du Grand Colombier dans le Jura.
Lieutenants : Kuss hors norme, Yates morne
Dans les ultimes kilomètres d'ascension, le maillot jaune danois demeure le mieux accompagné depuis le départ du Tour. Comme vu dans le Puy de Dôme, l'Américain Sepp Kuss peut faire rompre tout le monde excepté son leader et le Slovène, en embuscade à 17 secondes au général.
«Depuis le début de l'année, Kuss a pris une dimension bien supérieure, juge Christophe Riblon, double vainqueur d'étape dans la Grande boucle. Il est même capable de reprendre des relais une fois qu'un des deux a attaqué, si jamais ils se relèvent. Pour l'instant, il n'y a pas photo entre lui et Adam Yates.»
Cela peut paraître paradoxal car le Britannique, premier maillot jaune de cette édition et quatrième à Paris du Tour 2016, figure devant l'Américain au classement général. Pourtant il n'a été d'aucun secours lors de la défaillance de son leader Tadej Pogacar dans le col pyrénéen de Marie-Blanque. Quand Kuss a au contraire marqué le Slovène jusqu'à la ligne d'arrivée à Laruns.
Escadron de grimpeurs : les frelons Jumbo plus piquant
Parmi les autres gardes du corps en montagne, une nouvelle fois, les porte-flingues de Vingegaard ont affiché plus de force collective. Un énorme travail du Néerlandais Wilco Kelderman, troisième du Giro 2020, a permis d'isoler le double vainqueur déchu Pogacar dans le col du Tourmalet.
«Il n'y a que Jumbo-Visma qui a pesé collectivement sur la course», estime Christophe Riblon, retraité du peloton depuis 2017. «UAE-Emirates a roulé un peu mais pas dans des moments clés, pas pour faire exploser le groupe des favoris. Excepté le Polonais Rafal Majka, qui a montré de belles choses dans le Jaizkibel lors de la 2e étape, ça reste un petit peu fragile.»
Encore une fois le constat étonne à la lecture des noms de l'équipe, qui s'est renforcée à l'intersaison de l'Autrichien Felix Grosschartner, deux fois top-10 de la Vuelta mais transparent depuis le début du Tour de France. Comme Marc Soler, vainqueur de Paris-Nice 2018, mais pas exactement l'équipier idéal: parti, lors d'une étape de la Vuelta 2019, dans un raid, l'Espagnol avait rechigné à se relever pour attendre son leader Nairo Quintana, maillot rouge.
«Ce sont des coureurs qui étaient individuellement capables de résultats probants dans d'autres formations mais Jumbo-Visma présente une équipe moins éclectique, avec moins de nationalités différentes et surtout un état d'esprit», poursuit Christophe Riblon victorieux d'une étape avec double montée de l'Alpe d'Huez en 2013. «On sent que tout le monde est axé vers le même but et arrive à avoir son pic de forme au moment où il le faut.»
Seul contre-exemple dans la formation de Tadej Pogacar, le Danois Mikkel Bjerg. «Il a un peu de mal à gagner des courses mais ce coureur a une capacité à pouvoir aller loin dans l'effort et à durer. Aussi bien dans des parties planes que dans des montées. Il est hyper complet, c'est un profil parfait pour une équipe jouant le classement général.»
L'ultime carte : Wout van Aert
Avec le crack belge Wout van Aert, Jonas Vingegaard tient un atout en or. Un homme à l'aise sur tous les terrains, capable d'attaquer pied au plancher dès le kilomètre zéro à Pau pour s'envoler en éclaireur et relayer son leader, qui espérait, sans succès, avoir fait craquer Pogacar dans le Tourmalet.
«C'est un coureur exceptionnel, loue Christophe Riblon. Il est capable de faire des numéros extrêmement impressionnants et de renverser une situation à lui seul.»
La conciliation de ses ambitions personnelles avec son travail d'équipier pouvait paraître délicate. Surtout après sa déception rageuse affichée dès le premier jour à Bilbao quand Jonas Vingegaard n'avait pas mis la jambe à la pâte pour revenir sur les frères Yates. La situation s'est clarifiée depuis avec son immense labeur dans les Pyrénées.
Dernière incertitude : sera-t-il présent jusqu'à Paris ? Le nonuple vainqueur d'étape a annoncé que si son deuxième enfant devait naître avant terme, il plierait bagage pour retrouver sa femme. «S'il doit partir, il va falloir réfléchir chez Jumbo-Visma, prévient Riblon. Ce serait un énorme manque à compenser.»