«Blague» ou «super boulot» ? La «chicane» installée à l'approche de la célèbre trouée d'Arenberg pour freiner les coureurs et éviter les chutes divise le peloton à trois jours de Paris-Roubaix dimanche.
«C'est une blague ?», s'est interrogé, mécontent, le champion du monde Mathieu van der Poel, grand favori pour dimanche, sur les réseaux sociaux. «Super boulot. Ensemble, nous faisons passer la sécurité de notre sport à la vitesse supérieure», a au contraire applaudi Richard Plugge, le patron de l'équipe Visma-Lease a bike en félicitant Adam Hansen, le président du syndicat des coureurs CPA, à l'initiative de la mesure.
Car c'est à la demande du CPA, échaudé par les nombreuses chutes des dernières semaines, que les organisateurs de l'Enfer du nord ont modifié l'approche de ce secteur pavé aussi stratégique que redouté. Au lieu de l'aborder à pleine vitesse, après un faux plat descendant, les coureurs vont désormais contourner un îlot en prenant un angle très fermé, juste après les rails du chemin de fer. Cela va complètement couper leur élan avant la trouée, mais n'est pas sans poser d'autres problèmes de sécurité.
«J'ai écrit (au syndicat de coureurs) que ça pouvait poser des soucis, notamment parce qu'il y aurait un coup de frein plus important. On m'a répondu: on préfère freiner fort au risque de chuter sur du goudron plutôt que d'entrer dans la trouée d'Arenberg à 65 km/h», a expliqué Thierry Gouvenou le directeur de la course.
«Couverts de sang»
Un argument repris jeudi par l'Américain Matteo Jorgenson, vainqueur de Paris-Nice et d'A travers la Flandre où son leader chez Visma-Lease a bike, Wout Van Aert, a lourdement chuté.
«C'est ça que les fans veulent voir ? Des coureurs couverts de sang après avoir glissé, la tête la première, à 80 km/h sur des pavés acérés dans une forêt. Je préfère mille fois quelques virages et des gars qui glissent sur le bitume», a-t-il écrit sur X en postant une photo de Mitchell Docker, le visage ensanglanté après une chute dans la trouée en 2016.
Son équipier Dylan van Baarle, vainqueur de la Reine des classiques en 2022, a également applaudi l'initiative.
D'autres en revanche sont vent debout à l'image de Brian Smith, ancien champion de Grande-Bretagne aujourd'hui consultant sur Eurosport. «Soyons honnête, Paris-Roubaix n'est pas une course sans danger. Tout le monde connaît la musique. Laissez la course en état ou alors rayez la du calendrier», s'est-il ému.
Du côté des directeurs sportifs, Julien Jurdie, responsable de l'équipe Décathlon-AG2R La Mondiale, s'est dit favorable à l'idée d'une chicane, dans un entretien à l'AFP. «Cette trouée fait peur à tout le monde. On arrive à grande vitesse et tout le monde veut être dans les 20 premiers. C'est une vraie guerre du placement. Quand tu es coureur, tu fermes les yeux et tu fais une prière», a-t-il insisté.
«Nouveaux problèmes»
Marc Madiot, manager de l'équipe Groupama-FDJ et double vainqueur de Paris-Roubaix en 1985 et 1991, s'est montré davantage perplexe. «L'idée de vouloir ralentir est légitime» car «on ne veut pas d'une boucherie à l'entrée de la Tranchée, avec des gars qui se cassent des dents ou des clavicules», a-t-il dit à L'Equipe.
«Seulement, la chicane, comme elle est foutue là, ça fait un demi-tour sur la route. Donc au lieu que ça tombe sur les pavés, ça va tomber avant. On a créé un truc qui ne règle aucun problème en fait, qui en crée des nouveaux», a-t-il ajouté.
Conscient que la solution n'est pas idéale, les organisateurs mettent en avant le «délai imparti très court». «Dans le long terme on va réfléchir à un dispositif plus fluide», a expliqué Thierry Gouvenou à l'AFP. En attendant, les coureurs, même au ralenti, vont continuer à serrer les fesses à l'approche de ce secteur de tous les dangers où ils sont nombreux à avoir perdu toutes leurs illusions par le passé.