Laurent Meuwly n'a guère pris le temps de savourer la remarquable saison de ses protégées, marquée notamment par la progression d'Ajla Del Ponte sur 100 m et le bronze olympique de Femke Bol sur 400 m haies. La Tessinoise «doit pouvoir courir en 10''85 l'an prochain», lâche l'entraîneur fribourgeois, l'esprit déjà tourné vers 2022.
«Sa progression ne sera pas de deux dixièmes de seconde chaque année. C'est impossible», souligne d'emblée Laurent Meuwly à propos de la nouvelle recordwoman de Suisse (10''90). «Mais si tu veux répéter l'exploit de disputer une finale olympique voire viser une médaille, tu dois être constant à 10''90 ou moins», note-t-il.
«C'est d'ailleurs là sa plus grande victoire de l'année: être parvenue à courir à cinq reprises en 10''97 ou mieux. Par ailleurs, à La Chaux-de-Fonds (réd: théâtre de ces 10''90), elle a livré sa plus mauvaise course de la saison. Elle était très fatiguée, deux semaines après les JO», précise-t-il.
«Deux semaines plus tard, dans les mêmes conditions (réd: 1,8 m/s de vent favorable), elle aurait pu courir en 10''80», assure Laurent Meuwly. «Mais ce n'est peut-être pas plus mal qu'elle en soit restée à 10''90. Un 10''80 aurait été plus difficile à confirmer» pour Ajla Del Ponte, dont le record personnel était de 11''08 fin 2020.
Pas de course parfaite en 2021
N'empêche qu'il est persuadé que la Tessinoise de 25 ans ne va pas s'arrêter en si bon chemin. «Elle n'a jamais réalisé de course parfaite en plein air en 2021. Quand elle fait 10''91 en séries à Tokyo (réd: pour s'approprier le record de Suisse), elle réalise ainsi un départ catastrophique», rappelle-t-il.
«Ajla a beaucoup progressé sur sa deuxième partie de course. En finale des JO, elle était ainsi un mètre derrière Mujinga Kambundji après 30 m de course, et elle la devance au final» avec un temps de 10''97, contre 10''99 pour la Bernoise (6e). «Elle aurait pu terminer 4e aux JO avec un bon départ», estime-t-il.
Un peu plus de deux mois après ces Jeux, Laurent Meuwly sait donc parfaitement sur quoi mettre l'accent. Le débriefing de l'exercice estival 2020 a déjà largement été fait. «Elle a un souci sur son premier pas, pas suffisamment horizontal. Elle est ainsi parfois trop passive au moment de poser son premier pas», analyse-t-il.
«Et elle a aussi tendance à slalomer un peu sur les 40 premiers mètres de course. Quand elle se retrouve trop excentrée, sa poussée n'est pas suffisamment équilibrée entre la gauche et la droite. La force qu'elle perd alors pour compenser lui manque au moment de l'accélération», poursuit-il.
Un travail spécifique
Le travail technique a d'ailleurs déjà commencé après les JO: «Je raccourcis le couloir avec des cônes, afin qu'il ne fasse plus que 0,7 ou 0,6 mètre de largeur. Elle est obligée de pousser plus dans l'axe afin de suivre ce nouveau couloir», explique Laurent Meuwly, qui a accordé une longue interview à Keystone-ATS.
«Elle répète aussi beaucoup la position dans les starting-blocks en enchaînant un, deux ou trois pas. Elle le fait dans un premier temps avec de la résistance, afin de ralentir le mouvement pour lui permettre de mieux l'assimiler. On enlève ensuite la résistance», détaille l'ancien décathlonien.
«Si elle parvient à partir à chaque fois comme à Torun (réd: où elle était devenue championne d'Europe en salle du 60 m en 7''03 en mars dernier) et si elle effectue les mêmes deuxièmes parties de course qu'en 2020, elle doit pouvoir courir en 10''85 dès l'an prochain. Voire même plus vite», promet-il.
10''80 pour tutoyer les sommets
«De toute manière, 10''80, c'est le temps qu'il faudra réussir pour être tout devant au niveau mondial», enchaîne Laurent Meuwly, pour qui la saison en salle sera primordiale. «L'objectif sera d'être capable de gagner d'entrée des courses en étant proche de 7''03, et de passer sous les 7'' à Belgrade à son pic de forme», lâche-t-il.
Belgrade qui accueillera du 18 au 20 mars prochain les Mondiaux en salle, premier des trois grands rendez-vous d'une année 2022 qui s'annonce intense. «Ce n'est pas une crainte de devoir trouver trois pics de forme», coupe-t-il. «C'est surtout une chance d'être en position de viser les médailles», glisse-t-il.
Les Mondiaux de Eugene (15-24 juillet) constitueront le deuxième temps fort de l'année, suivis de très près par les Européens de Munich (15-21 août). «Il ne faut pas se laisser influencer par l'importance de l'événement. Que ce soit le meeting de Berne ou des Mondiaux, une course reste une course», assure-t-il.
«On ne va pas changer notre façon de travailler en fonction du calendrier. Il faudra savoir gérer au mieux les émotions entre les Mondiaux et les Européens», explique-t-il. «Pour Ajla, c'est bien qu'il y ait d'abord les Mondiaux. La pression sera un peu retombée pour les Européens, où elle pourra viser le titre sur 100 m.»
Laurent Meuwly est ambitieux, comme il l'a toujours été. Mais il connaît mieux que quiconque le potentiel d'Ajla Del Ponte, dont il s'occupe depuis six ans. «Il ne faut pas non plus oublier qu'elle a souffert du Covid au printemps dernier, ce qui avait perturbé sa préparation estivale», conclut-il.