Championne paralympique sur 400m, en quête d'une nouvelle médaille à Tokyo (24 août-5 septembre), Nantenin Keita cultive une force de caractère qu'elle met au service de son sport et de son engagement pour les enfants albinos.
Le sourire est communicatif, le parler franc. Sur la piste d'athlétisme de l'INSEP à Paris, quelques jours avant son départ pour ses 5e Jeux paralympiques, Nantenin Keita, 36 ans, se prête au jeu de la photo, lunettes de soleil toujours sur les yeux pour ne pas être gênée par la lumière.
«C'est un peu le rush en ce moment», admet la pétillante athlète dont l'une des dernières journées ne se déroule pas sur la piste, mais du côté de la salle de musculation. Son sac n'est pas encore prêt, mais elle peaufine une préparation «en dents de scie», car perturbée par des entorses à répétition.
«Même la qualification (pour Tokyo) n'a pas été simple», admet-elle. Pourtant, elle sera bien alignée sur 400m pour aller chercher une médaille, «peu importe la couleur», cinq ans après avoir été sacrée sur la même distance à Rio.
Devant l'INSEP, son nom s'affiche en grand sur une pancarte, rappelant les souvenirs du Brésil. Mais Keita, c'est aussi le nom de son père, Salif, musicien malien de renom. De lui, elle tient son albinisme, une particularité génétique qui lui a donné la peau blanche et l'a rendue malvoyante.
Triple championne du monde
Née à Bamako, elle rejoint la France à l'âge de deux ans: «Mon père ayant grandi au Mali, il n'a pas voulu que j'aie les mêmes difficultés que lui, que ce soit sur le plan de la société ou de l'éducation. Avec une déficience visuelle, on n'apprend pas de la même façon.»
Adolescente, elle commence par faire du hand «mais du fait de ma vue, je rattrapais la balle trop tard», puis du basket, avant de découvrir l'athlétisme grâce à une compétition pour déficients visuels. Sa progression la guidera entre autres vers trois titres de championne du monde (200 et 400 m en 2006, 400 m en 2015).
Sur la piste, elle court sans guide et ne fait pas confiance à sa vue, mais à des contrastes de couleurs: «Les pistes sont souvent bleues, rouges, et les lignes tracées en blanc. Je n'ai pas besoin de savoir réellement où je suis, que je suis aux 190 mètres, par exemple. J'ai besoin de savoir que je suis à la sortie du virage, que je suis sur la dernière ligne droite».
«Pas de super-pouvoir»
Le contraste, la comparaison, elle l'a aussi vécu dans son quotidien, par sa couleur de peau et son handicap.
«Quand j'allais à l'école, personne n'avait la même couleur de peau, donc ça ne m'étonnait pas d'en avoir une différente. J'avais mon blanc à moi. Donc je demandais pourquoi on me traitait, me regardait différemment. Pareil pour la vue ! Je pensais que tout le monde voyait comme moi et parfois se prenait des murs!»
«Bien entourée», avec son père pour modèle, Nantenin apporte aujourd'hui son aide aux enfants albinos. Une «évidence» pour elle.
A travers l'association qui porte leurs prénoms, Salif et Nantenin Keita, elle multiplie les opérations autour de l'éducation ou la santé, comme la récolte de tubes de crèmes solaires pour protéger les enfants au Mali.
Surtout, elle veut sensibiliser face à des croyances ancrées autour de l'albinisme qui poussent encore à des discriminations et des crimes en Afrique.
«Les albinos auraient des super-pouvoirs. Certains disent que les vêtements d'un enfant albinos peuvent augmenter la fertilité d'une femme, qu'utiliser son sang apporte le pouvoir», détaille la jeune femme. Elle rappelle avec humour que «personnellement, à part manger des haribos, je n'ai pas de super-pouvoirs !».