«Je suis bien Rubén Limardo Gascon, champion olympique», assène en souriant l'escrimeur vénézuélien, une grosse glacière au dos et un vélo posé à ses pieds, à Lodz en Pologne. Il y arrondit ses fins de mois comme livreur de repas.
Rubén Limardo est déjà qualifié pour les Jeux de Tokyo, mais il se heurte à un obstacle de taille: en raison de la crise dans son pays et de la pandémie, il a dû chercher une solution pour subvenir aux besoins de sa famille. Aussi, après son entrainement quotidien, il sillonne la ville pour une plateforme en ligne de livraison de repas.
«Si vous êtes à Lodz, en Pologne, et que vous passez la commande chez Uber Eats, il est possible que votre nourriture vous soit livrée par un champion qui a décidé de ne jamais abandonner», a lui-même révélé l'escrimeur sur son compte Twitter.
Son post a provoqué l'émoi dans les milieux sportifs et parmi les fans de cet épéiste devenu, à Londres en 2012, le deuxième champion olympique vénézuélien, 44 ans après le boxeur Francisco Rodríguez.
D'autant qu'il n'est pas le seul à devoir s'escrimer sur un vélo pour poursuivre son rêve olympique: vingt autres membres de l'équipe vénézuélienne d'escrime sont établis à Lodz. «On est tous livreurs. Il faut bien gagner son pain, et c'est un travail comme les autres», déclare-t-il.
Zone industrielle
Cinq matins par semaine, ils ont rendez-vous dans une salle d'armes, dans une zone industrielle quasi abandonnée. Leurs tenues blanches contrastent avec les couleurs jaune-bleu-rouge de leur pays qui dominent dans le décor de cet ancien atelier de production.
A l'entrée, un entassement de vélos et de glacières isothermes vertes attendent le coup de feu de 13 heures où les escrimeurs prennent une douche et un casse-croûte avant d'endosser un imperméable et un bonnet pour affronter la fraîcheur de l'automne polonais.
«On reçoit très peu d'argent du Vénézuéla où c'est la crise. Et la pandémie a tout bouleversé: il n'y a pas de compétitions, les JO de Tokyo sont repoussés, des sponsors disent qu'ils vont de nouveau nous payer après la nouvelle année. Il faut donc gagner de l'argent dans la rue», conclut Limardo.
Mais, «finalement, on peut adapter ce job à nos heures de sport, et même le considérer comme un prolongement de l'entrainement», assure-t-il, optimiste. Il fait ainsi une cinquantaine de kilomètres de vélo par jour pour livrer les commandes en gagnant une centaine d'euros par semaine.
«Ca nous permet de vivre, de poursuivre des études. On s'entraide dans l'entraînement, à payer le loyer, chacun travaille pour financer tout le groupe... J'ai ma femme et mes deux enfants. Il faut bien acheter des vêtements, des médicaments», explique-t-il en polonais qu'il parle couramment.
En avant !
Rubén Limardo vit depuis 19 ans en Pologne, encouragé par un oncle qui a imaginé un centre pour escrimeurs vénézuéliens dans ce pays européen en plein essor économique depuis la chute du communisme et pas trop cher encore. «Je viens d'une famille qui n'a jamais été riche et là-bas (au Venezuela) il y a beaucoup d'enfants qui ont des rêves. C'est pour ça que j'ai depuis créé ma fondation pour aider les jeunes qui veulent aller loin en escrime», raconte-t-il.
Il a aussi créé un club pour pouvoir participer à des tournois locaux et une école d'escrime pour enfants de Lodz. Mais la pandémie a tout bouleversé. «C'est dur, mais on continue à travailler», admet-il.
Une grande affiche sert de petit dictionnaire hispano-polonais: allons-y ! en avant ! droite, gauche, vous voulez de l'eau ?... «Mais avant tout on s'entraine pour être prêts à reprendre la compétition à tout moment», insiste Limardo, éliminé dès le 2e tour des JO 2016 de Rio. «Le rêve est toujours là. A chaque fois que je fais une livraison je me dis que ça va m'aider à gagner cette médaille que je veux à Tokyo en 2021. Et poursuivre à Paris»