A Liverpool, Jürgen Klopp ne marchera plus jamais seul: auto-proclamé «Normal One» à son arrivée, l'Allemand repart d'Anfield en héros adoré du peuple rouge, qu'il a conquis avec une énergie communicative, une humilité et un football furieux, bercé de sourires et de titres.
Les deux âmes passionnées vont communier une dernière fois, dimanche avant la «der» contre Wolverhampton, avec un «You'll Never Walk Alone» ("tu ne marcheras jamais seul") chanté à pleins poumons, chœur serré par l'émotion.
«Dire au revoir n'est jamais agréable, mais dire au revoir sans se sentir triste ou blessé, cela aurait signifié que le moment n'a pas été bon», a déclaré vendredi Jürgen Klopp, «en paix» au moment de quitter «une ville merveilleuse et très, très, très spéciale».
En janvier, le ciel est tombé sur la tête des «Scousers», les supporters sonnés par l'annonce surprise du départ, en fin de saison, de l'entraîneur de 56 ans. Le sentiment de perte, de vide, résonnait alors en écho à l'héritage bâti par le lointain successeur de Bill Shankly. Comme le mythique manager écossais, figure populaire des années 1960-70, Klopp aurait pu dire: «Liverpool était fait pour moi et j'étais fait pour Liverpool».
L'histoire d'amour a pourtant débuté sur la pointe des pieds, en octobre 2015. Pour sa première conférence de presse, il s'était décrit comme le «Normal One», en opposition au surnom «Special One» dont s'était affublé Jose Mourinho une décennie plus tôt en débarquant à Chelsea.
Avec humour et modestie, il avait d'emblée planté un décor qui sied à merveille à Liverpool, ville portuaire à l'histoire singulière, écrite à l'écart, voire à l'opposé du pouvoir de Londres (l'hymne anglais «God Save the King» y est sifflé, par exemple).
«J'aurais pu grandir ici»
Les succès n'ont pas immédiatement suivi, mais la fidélité du club de la Mersey a fini par payer. Klopp est devenu l'unique entraîneur à y avoir tout gagné: la Premier League, les coupes nationales, la Ligue des champions, la Coupe du monde des clubs et la Supercoupe d'Europe.
L'ancien joueur de Mayence avait déjà accompli des miracles au Borussia Dortmund, champion d'Allemagne 2011 et 2102. Mais quitter le «Mur» jaune pour rejoindre le «Kop» rouge était un sacré pari pour lui et le club, alors dixième d'un championnat qu'il n'avait plus remporté depuis 1990.
La greffe a pris immédiatement, indépendamment des résultats. Car l'Allemand a su embrasser l'histoire de Liverpool, ses triomphes et ses drames, dont celui de Hillsborough qui a coûté la vie à 97 supporters en 1989.
«J'aurais pu grandir ici», a-t-il déclaré récemment dans une vidéo du club. «La chose la plus importante reste les gens, la solidarité, la connexion, le cœur... Je savais que j'allais adorer être là.»
C'est «un grand communicant, un showman et un chef de meute», l'a décrit l'ancien capitaine Graeme Souness. «Il convient parfaitement à Liverpool parce qu'il ressent l'énergie qui y règne.»
Echecs, titres et sortie contrôlée
La route vers la gloire a été pavée de contrariétés, avec trois premières finales perdues: Coupe de la Ligue, Ligue Europa et Ligue des champions. Il a aussi fini derrière le Manchester City de Pep Guardiola en 2018/2019 malgré 97 points, record du club.
Quand la Premier League est enfin revenue à Liverpool, après une traversée du désert de trente ans, c'était en pleine pandémie de Covid, en 2020, avec ses stades vides et ses rues à peine plus remplies.
La marée rouge a néanmoins débordé de partout, un an plus tôt, quand les «Reds» ont rapporté de Madrid la précieuse Coupe aux grandes oreilles, le trophée de la Ligue des champions gagné en finale contre Tottenham, quatorze ans après le «miracle d'Istanbul» contre l'AC Milan.
Avoir fauché au passage le Bayern Munich, le FC Porto et le Barça de Lionel Messi, renversé 4-0 au retour (défaite anglaise 3-0 à l'aller), a renforcé l'aura de Klopp autant que la magie d'Anfield. L'ultime saison n'a pas apporté toutes les joies espérées, sans que le crédit de l'Allemand n'en soit entamé.
Quand on est entraîneur à Liverpool, «avant de poser le pied sur le terrain, les gens t'aiment, jusqu'à ce que tu les déçoives. Nous ne les avons jamais vraiment déçus», a-t-il résumé. «Je suis en paix, c'est merveilleux de savoir que j'ai passé une grande partie de ma vie ici».