Accueillie avec stupéfaction, l'attribution des Jeux asiatiques d'hiver 2029 à l'Arabie Saoudite obéit à une double logique: l'utilisation des compétitions sportives comme vitrines nationales, et la fuite en avant d'instances en quête perpétuelle de pays hôtes qui se raréfient.
Pour des épreuves de neige, difficile d'imaginer écart plus spectaculaire que celui qui sépare la poudreuse japonaise de Sapporo, site de la première (1986) et dernière (2017) édition de ces Jeux, et le désert montagneux de Trojena, à 50 kilomètres du littoral de la Mer Rouge, qui n'a jamais vu le moindre skieur.
«C'est dramatique pour notre sport», a déploré mardi soir le vice-champion olympique de descente Johan Clarey sur RMC, alors que le secrétaire général de la Fédération internationale de ski et de snowboard, Michel Vion, s'est dit «surpris» de la décision du Conseil olympique d'Asie (OCA).
Fin 2021, Dubaï avait accueilli des slaloms qualificatifs pour les JO d'hiver de Pékin dans le dôme réfrigéré d'un immense centre commercial, par 30°C extérieurs, repoussant déjà fortement les frontières du ski alpin.
Mais tout pose question dans le projet saoudien en plein réchauffement climatique, des températures attendues à l'impact énergétique, en passant par le détournement des ressources locales en eau et l'artificialisation de pentes encore vierges.
«Effet d'annonce»
Voir l'Arabie Saoudite avancer ses pions sur la carte sportive est en elle-même tout sauf une surprise après ses investissements dans la Formule 1, le cyclisme, ou le football, via le rachat du club anglais de Newcastle et une candidature en préparation pour co-organiser le Mondial 2030.
Mais chaque projet poursuit un objectif distinct, et celui des Jeux asiatiques est «surtout économique», explique à l'AFP Raphaël Le Magoariec, spécialiste de la géopolitique du sport des pays du Golfe à l'université de Tours.
Si la rivalité avec les voisins qatari et émirati, pionniers régionaux de la diplomatie sportive, reste à l'arrière-plan, Ryad «veut principalement mettre en avant sa cité du futur», Neom, souligne le chercheur.
Ce complexe de plusieurs centaines de milliards de dollars, porté par le puissant prince héritier Mohamed ben Salmane, n'est pour l'heure qu'une rutilante maquette. Mais ses promoteurs visent une inauguration en 2026, avec des pistes de ski ouvertes toute l'année, un lac artificiel, des manoirs et des hôtels de luxe.
«Il y a de grosses inconnues sur la neige, et même sur la réalisation de l'ensemble du projet», avertit Raphaël Le Magoariec.
D'un point de vue climatique, l'extrême faiblesse des précipitations (moins de 50 mm par an selon diverses sources) exclut l'hypothèse d'un enneigement naturel, même en plein hiver.
Mais, «à ce stade», cette attribution constitue «surtout un effet d'annonce», à analyser «dans un contexte complètement régional», indique M. Le Magoariec.
Instances «en décalage»
En accueillant les Jeux asiatiques, le royaume «ne cherche pas à parler à un public européen» mais aux classes aisées du Moyen-Orient, de Russie, d'Inde et de Chine, dans une «logique néolibérale et dépourvue de réflexion sur l'environnement ou les droits humains», estime le doctorant.
En revanche, le choix du Conseil olympique d'Asie peut paraître étonnant, tant les instances sportives jouent de plus en plus leur réputation sur l'impact social et écologique de leurs compétitions, jaugé avec une précision croissante par chercheurs et ONG.
Mais, faute d'autre candidat, «l'OCA ne peut pas être trop regardant, et a décidé qu'il valait mieux aller en Arabie Saoudite plutôt que nulle part», résume Pim Verschuuren, spécialiste de géopolitique du sport à l'université de Rennes II.
Respectivement occupés par les JO 2020 de Tokyo et 2022 de Pékin, Japon et Chine ont délaissé les Jeux asiatiques d'hiver après avoir accueilli six des huit premières éditions, alors que l'OCA a «besoin» de pays hôtes «pour exister politiquement et économiquement».
La crise des candidatures dépasse d'ailleurs l'Asie, tant les réticences des populations face au coût et au gigantisme des grands événements sportifs font désormais capoter nombre de dossiers, un défi particulièrement aigu pour les compétitions hivernales et leur géographie déjà restreinte.
«Toute la question, c'est de savoir quelle organisation sera la première à réduire la taille et l'impact de son événement pour entrer dans les critères de durabilité», s'interroge Pim Verschuuren.
Mais les instances demeurent «de lourds paquebots, qui vont mettre du temps à changer», constate l'universitaire, au risque d'un «décalage» prolongé avec l'urgence climatique.