A dix jours du début des Internationaux de France, l’occasion est belle de faire le point sur l’état du tennis tricolore. Les "Mousquetaires" étant au crépuscule de leur carrière, un trou générationnel est redouté dans l’Hexagone.
Avec Jo-Wilfried Tsonga (36 ans, ex-numéro 5 mondial), Gaël Monfils (34 ans, ex-numéro 6 mondial), Gilles Simon (36 ans, ex-numéro 6 mondial) et Richard Gasquet (34 ans, ex-numéro 7 mondial), la France a connu une quinzaine d’années ensoleillées sur le circuit ATP. Les quatre compères, surnommés les quatre "Mousquetaires", ont ainsi enchaîné les performances au plus haut niveau, eux qui ont tous atteint au minimum les quarts de finale en Grand Chelem, sans toutefois réussir à décrocher le "Graal".
A l’image de la Suisse, avec les retraites attendues à court ou moyen terme de Roger Federer (39 ans) et de Stan Wawrinka (36 ans), le tennis tricolore cherche de dignes successeurs à ses quatre ambassadeurs. Journaliste depuis une vingtaine d’années au quotidien sportif "L’Equipe", Julien Reboullet se prépare à vivre quelques saisons plus compliquées. En marge du Geneva Open, il détaille également les mesures prises par la Fédération française de tennis pour retrouver rapidement le devant de la scène. Entretien.
Julien Reboullet, le tournoi de Roland-Garros débute dans quelques jours (30 mai au 13 juin) à Paris et va, comme chaque année, mettre le tennis français en lumière. Ce dernier se porte-t-il bien ?
"On est à la croisée des chemins, tant pour le tennis français que pour le tennis mondial. Federer, Nadal, Djokovic et Murray ont désormais un certain âge et on sait qu’ils sont forcément à la fin de leur carrière, même si cette dernière peut encore durer plusieurs années pour certains. Côté français, c’est encore plus marquant car la génération dorée appelée les 'Mousquetaires' est en fin de parcours et personne ne se dégage vraiment pour lui succéder."
La parenthèse enchantée du tennis français est donc terminée ?
"La France a eu, presque en même temps, quatre joueurs dans les dix meilleurs mondiaux, ce qui n’était jamais arrivé dans son histoire. Il y a d’ailleurs eu une semaine incroyable où Tsonga, Monfils, Simon et Gasquet étaient tous les quatre dans les onze premiers. Avec du recul, cette appellation des 'Mousquetaires' était bien sûr exagérée puisqu’ils n’ont jamais réussi à gagner un Grand Chelem ni même la Coupe Davis. Cette dernière a, en effet, été gagnée en 2017 avec de nouveaux joueurs comme Lucas Pouille. Mais le décalage entre les railleries dont ils sont désormais victimes et leur carrière respective est devenu beaucoup trop fort. Cela donne l’impression que ces quatre joueurs sont ou étaient nuls, ce qui est évidemment faux. A l’image de Berdych ou de Ferrer, ils ont eu la malchance de tomber sur le 'Big 4'. Il leur a toutefois manqué un truc qui explique qu’ils n’y sont pas parvenus, à l’inverse de joueurs comme Del Potro, Cilic ou Wawrinka. Globalement, le tennis français s’attend désormais à un trou générationnel lorsque ces quatre joueurs prendront leur retraite."
Personne ne se dégage donc dans l’immédiat pour prendre cette lourde succession ?
"Il reste des joueurs très corrects, mais qui n’ont actuellement pas le potentiel pour intégrer le Top 10 mondial. Ainsi, si les quatre venaient à arrêter aujourd’hui, il resterait en tête d’affiche Benoît Paire (ATP 36) et Ugo Humbert (ATP 33). Le premier nommé est un joueur très talentueux, mais très inconstant et qui a déjà plus de 30 ans. Quant au second, il s’agit d’un bon joueur en devenir, mais il est difficile pour l’instant de dire s’il atteindra un jour les demi-finales d’un Grand Chelem et s’il intégrera le Top 10 mondial. Ce serait une très belle projection pour lui, mais il part de plus loin qu’un Gasquet, un Monfils ou un Tsonga à l’époque. Le tennis français était alors certain que ces derniers allaient devenir de gros clients et de futurs joueurs du Top 10 mondial. Pour Simon, c’était davantage une surprise car ce n’était pas un jeune dominant et son style de jeu n’était pas très impressionnant. Il a beaucoup misé sur l’intelligence et la construction du point pour arriver à un tel niveau. Derrière eux, il y a également Lucas Pouille (ATP 85). Ce dernier avait commencé très fort en grimpant jusqu’au 10e rang mondial, mais il a depuis eu une grosse blessure qui a entraîné une perte de confiance. Il n’est dès lors visiblement plus un futur candidat au Top 10, du moins pas dans un avenir proche. C’est pourquoi le tennis français doit s’apprêter à vivre des années difficiles, où des présences en deuxième semaine de Grand Chelem seront rarissimes. Il y a donc une certaine peur du vide. Une interrogation résume parfaitement ce sentiment : 'Quand aura lieu le prochain quart de finale en Grand Chelem d’un Français ?' Une telle performance est d’ailleurs difficilement envisageable à court terme."
Outre ces joueurs déjà établis sur le circuit ATP, y a-t-il de jeunes joueurs qui pointent le bout de leur nez ?
"Il y a de bons juniors comme Mayot et Cazaux qui se sont affrontés en 2020 en finale de l’Open d’Australie juniors. Ils sont toutefois attendus moins haut que ne l’étaient des Gasquet ou Monfils à l’époque. Mais c’est peut-être mieux pour eux et cela pourrait les libérer d’un certain poids. Cazaux a d’ailleurs impressionné cette semaine au Geneva Open en s’imposant dès sa première apparition sur le circuit principal (ndlr : victoire contre Mannarino puis défaite contre Cuevas). Il n’était d’ailleurs pas attendu à un tel niveau aussi tôt. Ces récentes bonnes performances laissent supposer qu’il est peut-être en train de s’installer au haut niveau."
Cazaux a d’ailleurs reçu une invitation pour le tournoi de Roland-Garros. Le public français peut-il s’attendre à vibrer lors de la quinzaine parisienne ?
"S’il y a un Tricolore en deuxième semaine des Internationaux de France cette année, ce serait forcément une bonne surprise au vu de la forme actuelle de nos meilleurs joueurs. Monfils vit une période extrêmement difficile depuis le début de la pandémie. Il n’avait ainsi pas remporté le moindre match jusqu’à son succès cette semaine à Lyon. Il a évidemment ce qu’il faut pour arriver en deuxième semaine, mais il est actuellement en pleine reconstruction. Derrière lui, n’importe quel autre joueur français qui atteindrait la deuxième semaine réaliserait un exploit. Ce bilan veut bien dire que le tennis français a reculé de deux voire trois crans et que ses ambitions ont été revues à la baisse. Le public ne doit donc pas trop se réjouir."
En automne dernier, les spectateurs avaient vibré grâce au parcours exceptionnel de Hugo Gaston. Battu en cinq manches par Dominic Thiem en huitièmes de finale, que peut espérer le Toulousain cette année ?
"Gaston avait effectivement pris la lumière lors de la dernière édition de Roland-Garros car il avait livré des matches incroyables, notamment en éliminant Wawrinka. Ses performances à Paris lui avaient d’ailleurs valu la 'Une' de 'L’Equipe', ce qui lui avait offert une grande, mais méritée, exposition médiatique. Son édition 2020 n’était toutefois qu’une parenthèse enchantée. Il a néanmoins un style de jeu très enthousiasmant, lui qui se bat avec d’autres armes que la traditionnelle puissance de la plupart des joueurs. Avec son style de jeu peu conventionnel, il met beaucoup de vie dans ses matches, notamment avec des amorties et des lobs. Il a désormais une certaine pression sur les épaules puisque le grand public va l’attendre. Depuis octobre, il trace tranquillement son chemin en vue d’intégrer le Top 100, ce qui serait déjà une première étape. Il n’est toutefois pas le futur Tsonga, Monfils, Simon et Gasquet."
Justement, que fait la Fédération française de tennis pour retrouver un jour une telle génération ?
"Lucas Pouille avait bien verbalisé l’état du tennis français il y a quelques années. Il avait alors dit que côtoyer et échanger avec les quatre 'Mousquetaires' était hyper enrichissant. Il avait dit que cela pouvait lui éviter de commettre les mêmes erreurs que ces quatre joueurs, sans toutefois préciser lesquelles. Il y a d’ailleurs quelque chose de très positif au niveau des intentions de la Fédération française de tennis puisque cette dernière encourage les Tsonga, Monfils, Simon et Gasquet à partager leurs expériences avec les jeunes afin que ces derniers grandissent et franchissent les étapes le plus rapidement possible."
La nouvelle direction technique nationale est d’ailleurs composée d’anciens joueurs…
"Effectivement. La nouvelle équipe est composée de Nicolas Escudé, qui est directeur technique national, d’Arnaud Clément, qui est à la tête du département 'compétition et formation' et de Paul-Henri Matthieu, qui est directeur du haut niveau. Tous ces gens ont évidemment connu le haut niveau, avec notamment des finales de Coupe Davis voire de Grand Chelem pour Arnaud Clément. Ils font eux-mêmes partie de la première étape d’un formidable partage d’expériences pour les jeunes. Ils soignent ce côté transmission, ce qui devrait entraîner des choses positives pour le tennis français. Il ne faut néanmoins pas se tromper : une Fédération ne fabrique pas un numéro un mondial. Une Fédération fabrique des joueurs complets techniquement et physiquement, qui savent s’organiser et s’intégrer à une structure. Les dernières marches en vue d’une carrière de haut niveau ne viennent pas d’une Fédération, mais d’un projet personnel, d’une détermination incroyable, d’une histoire forte et d’un peu de réussite à un moment donné. Le rôle de la Fédération est donc de produire un maximum de joueurs pour le haut niveau, mais ces derniers doivent ensuite prendre leur projet personnel en mains. C’est pourquoi il n’est pas possible de reprocher à une Fédération de ne pas former des futurs membres du Top 10 mondial. A ce jour, la Fédération française de tennis a formé beaucoup de bons joueurs."
En conclusion, quel visage aura le tennis français à moyen terme ?
"Entre ce qui existe actuellement et ce qui arrive, j’espère qu’il y aura dans les cinq ans à venir au moins trois ou quatre joueurs classés régulièrement parmi les cinquante meilleurs joueurs mondiaux. Attention, cela ne veut pas dire qu’il y aura des joueurs français en demi-finales d’un Grand Chelem, ce qui est totalement autre chose. A l’heure actuelle, j’ai l’impression qu’il va falloir faire preuve de patience. Une des théories développées par Nicolas Escudé est d’ailleurs que c’est de la densité que viendra l’exception. Plus la Fédération forme et s’ouvre à un maximum de gens, plus il y aura de monde vers le sommet de la pyramide et moins il y aura de chance de rater le bon numéro."