Oenologie et microgravité Du Petrus et des plants de vigne envoyés dans l'espace pour tester leur «résilience»

Relax

25.3.2021 - 15:49

Ils reviennent de loin après un voyage dans les conditions extrêmes de l'espace: à Bordeaux, des bouteilles de Petrus et des sarments de vigne sont analysés par des chercheurs qui développent une expérience sur la micro-gravité, potentiel accélérateur d'une agriculture plus «résiliente» sur terre.

Bonne nouvelle: même après 14 mois dans l'espace, ce grand cru de 20 ans – coté vers 5.000 euros – est resté «un très grand vin», selon les premières conclusions de l'Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV) de l'université de Bordeaux dévoilées mercredi 24 mars.

Depuis février, l'ISVV, à Villenave-d'Ornon (Gironde), est chargé d'analyser les 12 bouteilles de ce Pomerol et la moitié des 320 sarments de vigne de merlot et cabernet sauvignon envoyés pendant respectivement 14 et 10 mois sur la Station spatiale internationale (ISS), à l'initiative de la start-up européenne Space Cargo Unlimited (SCU).

"Le +vin de l'espace+ a été très bien évalué sensoriellement", résume Philippe Darriet, directeur de l'unité de recherche oenologie à l'ISVV.
"Le +vin de l'espace+ a été très bien évalué sensoriellement", résume Philippe Darriet, directeur de l'unité de recherche oenologie à l'ISVV.
Philippe LOPEZ / AFP

La micro-gravité: un stress pour le vin et la vigne?

Tout l'enjeu de la «mission WISE» est de vérifier si l'environnement spatial, avec ses radiations et sa micro-gravité, a modifié les caractéristiques du vin, et surtout si l'apesanteur peut rendre la vigne plus résistante.

«Notre approche est de penser que les plantes qui auront su résister à l'absence de gravité seront plus résilientes, plus en capacité de réagir à des stress (...) comme le changement climatique», estime le Girondin Nicolas Gaume, président et cofondateur avec Emmanuel Etcheparre de SCU.

Une quinzaine de chercheurs sont impliqués dans ce programme privé de recherche en partenariat avec l'université d'Erlangen (Allemagne) et le Centre national d'études spatiales (Cnes).

Revenus mi janvier sur terre à bord du cargo Dragon de la société SpaceX, la moitié des sarments ont été replantés dans les serres du leader mondial des pépinières viticoles, le Groupe Mercier, pour des débouchés futurs. L'autre moitié, à l'ISVV, est comparée et analysée avec des lots identiques restés sur terre, eux.

Un test olfactif, visuel et dégustatif mené le 1er mars a permis d'obtenir «une première photographie» de l'odyssée spatiale du vin. Ce jour-là, deux bouteilles «anonymisées» de Petrus ont été présentées à l'aveugle à un panel de 12 personnes – amateurs et experts.

Le verdict a été «unanime»: «le +vin de l'espace+ a été très bien évalué sensoriellement», résume Philippe Darriet, directeur de l'unité de recherche oenologie à l'ISVV. Dans 11 cas sur 12, des «différences» ont été notées, en particulier sur la couleur, et parfois dans les nuances d'odeurs et de goût.



Une chose est sûre: le vin ne s'est pas altéré

Pour l'oenologue Jane Anson, «la grande différence» entre les deux vins restait surtout «visuelle». «Les deux sont vraiment magnifiques», a-t-elle assuré tout en jugeant le vin terrestre «un peu plus tannique, plus jeune» par rapport au vin «céleste» dont l'"aromatique floral» ressortait «davantage». A contrario, l'oenologue Franck Dubourdieu n'a pas perçu de différence «significative». Ce qui ne l'empêche pas de saluer un «succès»: «le vin de l'espace ne s'est pas détérioré».

Ces premières impressions doivent encore être confortées par des analyses physico-chimiques à l'ISVV tandis qu'en parallèle, les scientifiques surveillent l'évolution des sarments qui ont végété 10 mois en apesanteur, dans des alvéoles sans lumière à l'hygrométrie maîtrisée.

«La gravité est un paramètre central de la vie, le seul qui n'a jamais évolué sur Terre, contrairement à la température ou l'humidité. Quand on expose des plantes à cette absence de gravité, on les soumet à un stress prodigieux, qui pourrait accélérer certaines évolutions naturelles», avance Nicolas Gaume.

Une attente de 3 ans pour constater les effets sur les gènes

«Ce n'était pas gagné, mais ils ont survécu. Aujourd'hui, 50% d'entre eux se sont bien développés», soulignait début mars Stéphanie Cluzet, directrice de recherches et professeure à l'ISVV, à propos des sarments replantés à l'ISVV. Mais il faudra attendre 3 ans pour savoir si certaines plantes ont subi des modifications épigénétiques (dans l'expression des gênes).

«L'attente finale, c'est de +challenger+ les plantes et de regarder si elles ont acquis une meilleure tolérance à des agents pathogènes comme le mildiou», et à «un contexte de changement climatique», ajoute la scientifique.

Prochaine expérience de la mission Wise: tester une fermentation en apesanteur.