Lorraine Ann Imperio surfe sur un site de troc à Las Pinas aux Philippines le 11 août 2020
Lorraine Ann Imperio (G) échange des marchandises à Las Pinas le 29 juillet 2020
Mes Nike contre ton poulet... l'essor du troc aux Philippines à cause du virus
Lorraine Ann Imperio surfe sur un site de troc à Las Pinas aux Philippines le 11 août 2020
Lorraine Ann Imperio (G) échange des marchandises à Las Pinas le 29 juillet 2020
Incapable de joindre les deux bouts, Lorraine Imperio s'est résolue à troquer sa paire de Nike contre un poulet prêt à être cuit sur un des multiples sites d'échange apparu aux Philippines depuis le début de la pandémie.
Des millions d'habitants de l'archipel ont perdu leur emploi à cause du coronavirus et sont dans l'incapacité d'en trouver un autre du fait du confinement. Alors beaucoup se tournent vers les groupes Facebook pour troquer tout et n'importe quoi, de l'électroménager, des jouets, des sacs à main, le plus souvent pour de la nourriture.
«C'est tellement difficile en ce moment. On ne sait plus où trouver l'argent pour payer les courses», explique Mme Imperio, une mère de deux enfants dont le mari travaille à temps partiel dans un magasin qui vend des doughnuts à Manille.
Il a assisté impuissant à la réduction contrainte de son temps de travail à cause du virus et ne gagne désormais plus que 9.000 pesos (155 euros) par mois, dont la moitié part dans le loyer.
Dans ce contexte, les sites de troc dont devenus un moyen de survie pour nombre de Philippins comme Mme Imperio, 28 ans.
Six kilos de riz
Au moins 98 de ces groupes, dont certains qui recensent des dizaines de milliers de membres, existent dans l'archipel, selon un décompte effectué par l'AFP.
Près de la moitié sont apparus depuis l'arrivée du coronavirus qui a obligé nombre de Philippins à se rabattre sur cette pratique ancestrale qu'est le troc pour nourrir leur famille.
Sur Google, les recherches de l'expression «troc de produits alimentaires» ont grimpé de 300% entre avril et mai aux Philippines, selon une étude de l'organisation iPrice Group.
Son analyse détaillée de 85 groupes de troc sur Facebook a montré que les denrées alimentaires étaient les produits les plus recherchés.
Les gens postent des photos et des précisions sur les produits qu'ils sont prêts à céder, expliquent ce qu'ils cherchent en échange, et la négociation s'engage dans les commentaires.
Après avoir déjà troqué des biberons dont elle n'avait plus besoin, Mme Imperio a échangé une veste en duvet pour bébé et un sweat à capuche Ralph Lauren contre six kilos de riz.
Si elle a récupéré un poulet contre ses Nike, une seconde paire n'a toujours pas trouvé preneur, trois semaines après avoir été proposée en ligne.
La faim progresse
«Les vieux produits sont durs à vendre», explique-t-elle. «Mais le troc permet de les transformer en nourriture.»
C'est parce qu'elle était frustrée de ne pas pouvoir sortir faire les courses, et parce qu'elle voulait aider les autres que Jocelle Batapa Sigue a créé il y a quatre mois le Groupe de troc de Bacolod, une ville du centre des Philippines.
Son mari était le seul, dans la famille, à avoir le permis nécessaire pour sortir de confinement.
«C'est difficile pour moi d'obtenir ce que je veux quand j'envoie mon mari faire les courses», explique cette avocate.
Son groupe compte désormais 230.000 membres.
Elle estime que, chaque jour, des milliers d'objets changent de mains sur son site, qu'il s'agisse de gâteaux d'anniversaire, de téléphones portables ou de bouteilles de shampoing.
«Sans la pandémie, le troc n'aurait pas connu un tel essor», dit-elle.
En juillet, une étude de l'institut de sondage Social Weather Stations avançait que 5,2 millions de familles philippines avaient ressenti «la faim à cause d'un manque de nourriture» au moins une fois au cours des trois précédents mois. Un chiffre au plus haut depuis six ans.
Le troc ne concerne cependant pas que les personnes qui n'ont plus d'argent.
Pour beaucoup, il est aussi une façon de se débarrasser d'objets dont le confinement a révélé l'inutilité.
Chona de Vega, 57 ans, a échangé son fer à lisser les cheveux et une bouilloire électrique contre un sac de courses et pense désormais à proposer son fer à repasser.
«Je n'en ai plus besoin», explique cette habitante de Manille qui passe l'essentiel de son temps chez elle à cause des restrictions contre le coronavirus.
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