Circulez, vous êtes dévisagés... En pleine mobilisation anti-raciste, les géants américains d'internet assurent qu'ils veulent limiter l'usage sécuritaire de la reconnaissance faciale, mais selon les spécialistes, il en faudrait plus pour endiguer l'essor de cette technologie, convoitée par les forces de police du monde entier.
Sous la pression d'associations comme la puissante American Civil Liberties Union (ACLU) et sur fond de manifestations contre les violences policières, Microsoft, Amazon et IBM ont décidé de circonscrire les utilisations possibles de leurs outils d'analyse de visages, notamment par la police.
Plus cette technologie se perfectionne, plus elle intéresse les forces de l'ordre et plus elle inquiète les défenseurs du droit à la vie privée.
Car si traquer et retrouver une personne à partir d'une simple photo est le rêve de tout enquêteur, la reconnaissance faciale est aussi «une forme extrêmement intrusive de surveillance et peut gravement saper nos libertés et même notre société dans son ensemble», selon l'organisation Privacy International.
Des caméras de sécurité utilisant la reconnaissance faciale exposées lors d'un salon sur les systèmes de sécurité publique en octobre 2018 à Pékin
Des caméras de sécurité utilisant la reconnaissance faciale exposées lors d'un salon sur les systèmes de sécurité publique en octobre 2018 à Pékin
Un système de reconnaissance faciale et de contrôle de la température à l'entrée du Colisée, le 1er juin 2020 à Rome
Reconnaissance faciale: le pas de deux compliqué des groupes technologiques et des forces de l'ordre
Des caméras de sécurité utilisant la reconnaissance faciale exposées lors d'un salon sur les systèmes de sécurité publique en octobre 2018 à Pékin
Des caméras de sécurité utilisant la reconnaissance faciale exposées lors d'un salon sur les systèmes de sécurité publique en octobre 2018 à Pékin
Un système de reconnaissance faciale et de contrôle de la température à l'entrée du Colisée, le 1er juin 2020 à Rome
En janvier 2020, une enquête du New York Times levait le voile sur la startup californienne Clearview AI, financée notamment par l'un des premiers investisseurs de Facebook, Peter Thiel, qui pourrait, selon le prestigieux quotidien américain, «mettre fin à la vie privée».
3 milliards d'images glanées
Son fondateur, le trentenaire australien Hoan Ton-That, affirmait avoir enregistré plus de 3 milliards d'images glanées sur les réseaux sociaux, et être en mesure de faire des recherches à partir d'une simple photo directement sur un smartphone.
Selon la société, 600 forces de polices à travers le monde font déjà partie des utilisateurs.
Twitter, Facebook, Youtube (Google) ou LinkedIn (Microsoft) s'empressent alors de condamner cette exploitation des images de leurs utilisateurs et somment Clearview AI de supprimer ces données, sans succès pour le moment.
Selon un décompte réalisé en décembre par le journaliste Nicolas Kayser-Bril, pour le compte de l'organisation Algorithm Watch, au moins 10 forces de police en Europe utilisent déjà la reconnaissance faciale, sans pour autant avoir recours aux grands noms d'internet.
«Je n'ai jamais vu de contrat entre Microsoft, Amazon ou IBM et la police dans les enquêtes que j'ai faites sur le sujet», explique-t-il à l'AFP, nuançant l'effet des annonces de ces trois sociétés sur le développement de la reconnaissance faciale à des fins sécuritaire.
«Les outils pour reconnaître des visages sont disponibles librement», et fournis aux forces de l'ordre par d'autres sociétés prestataires comme Briefcam, filiale de Canon spécialisée dans l'analyse ultra-rapide d'images et l'un des leaders du marché en Europe, ajoute-t-il.
La Chine, où la reconnaissance faciale se développe tous azimuts avec la bénédiction du gouvernement, est aussi à l'oeuvre pour exporter sa technologie, notamment en Afrique via le géant des télécoms Huawei.
«On peut établir la carte d'identité de chacun sans le connaître, avec nom, prénom, cursus, son expérience, sa famille, ce qu'il préfère, où il voyage», soulignait en février 2019 un responsable régional de la firme lors du premier salon africain 100% technologique dédié à la sécurité et la sûreté, à Rabat au Maroc.
Réseau commun en Europe
En février, un rapport obtenu par le site d'information The Intercept révélait par ailleurs que 10 forces de police sur le continent européen réfléchissaient à la mise en place d'un réseau commun pour rechercher des visages, en étendant notamment les accords d'échange déjà en place sur d'autres données biométriques comme l'ADN ou les empreintes digitales.
En France, le livre blanc de la sécurité intérieure du ministère de l'Intérieur, attendu dans les semaines à venir, devrait proposer quelques nouvelles pistes et notamment des expérimentations de terrain.
Si les enquêteurs français sont déjà autorisés à utiliser les algorithmes pour rechercher des visages parmi ceux enregistrés dans le fichier TAJ (traitement d'antécédents judiciaires), il aimeraient aussi pouvoir utiliser cette technologie avec les 580.000 portraits du FPR (fichiers des personnes recherchées), dont les fameuses fiches S.
Mais les fonctionnaires ne cachent pas qu'ils aimeraient aussi aller plus loin, et utiliser la reconnaissance faciale dans l'espace public en temps réel pour des actions ciblées (attentat terroriste, enlèvement d'enfants, recherche de meurtrier, disparition de personne vulnérable).
Selon un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur, qui appelle à un débat public sur le sujet, «on peut imaginer une expérience dans les gares, déployée en cas de périple meurtrier ou pour sécuriser des grands évènements, et voir si on arrête des gens grâce à ça».
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