Harcèlement sexuel Divergences transatlantiques sur le #MeToo

ATS

29.8.2019 - 05:52

Le ténor espagnol Placido Domingo, 78 ans, a reçu un accueil chaleureux de la part du public à Szeged, en Hongrie, où il s'est produit mercredi soir, malgré les déclarations de plusieurs femmes, qui lui reprochent des baisers forcés ou des gestes déplacés à leur égard il y a plusieurs années.
Le ténor espagnol Placido Domingo, 78 ans, a reçu un accueil chaleureux de la part du public à Szeged, en Hongrie, où il s'est produit mercredi soir, malgré les déclarations de plusieurs femmes, qui lui reprochent des baisers forcés ou des gestes déplacés à leur égard il y a plusieurs années.
Source: KEYSTONE/AP/LASZLO BALOGH

Les accusations de harcèlement sexuel contre le célébrissime ténor espagnol Placido Domingo ont de nouveau souligné les divergences transatlantiques en matière d'accueil fait aux personnalités du monde de la culture mises en causes dans des scandales.

Placido Domingo, 78 ans, a reçu un accueil chaleureux de la part du public à Szeged, en Hongrie, où il s'est produit mercredi soir, malgré les déclarations de plusieurs femmes, qui lui reprochent des baisers forcés ou des gestes déplacés à leur égard il y a plusieurs années. Dimanche, pour sa première prestation scénique depuis la publication de ces accusations, il avait été ovationné au festival de Salzbourg.

Aux Etats-Unis au contraire, l'Orchestre de Philadelphie et l'Opéra de San Francisco ont annulé ses spectacles dès que les accusations ont été rendues publiques.

En Europe, les compagnies ont préféré attendre, certaines lui affichant même leur soutien. Et alors que plusieurs artistes américains ont publiquement condamné les actes présumés, des chanteurs européens ont pris sa défense.

La mezzo-soprano Maria José Suarez, qui s'est produite au côté de Placido Domingo plusieurs fois, a ainsi dit avoir vu des femmes «lui courir après». «Ce que j'ai vu, c'est quelqu'un de bon, qui est un homme qui aime les femmes, tout comme j'aime les hommes, et ce n'est pas un problème», a-t-elle dit à une radio espagnole.

«Tout simplement horrible»

Cette divergence dans les réactions ravive le débat de longue date sur la manière dont la société devrait ou non continuer de célébrer l'oeuvre d'individus accusés d'actes répréhensibles.

Le cinéaste Roman Polanski est peut-être la personnalité du monde de la culture la plus connue à avoir été accueillie en Europe bien qu'il ait été reconnu coupable du viol d'une adolescente aux Etats-Unis, qui continuent à demander son extradition depuis qu'il a fui vers la France en 1978.

Il doit maintenant présenter son dernier film à la Mostra de Venise, mais n'a toujours pas de distributeur américain.

Pour Audrey Clinet, qui a cofondé la compagnie EROIN, consacrée à soutenir les réalisatrices débutantes, le fait que de telles personnalités continuent d'être célébrées est «tout simplement horrible». En France, dit-elle, ces personnalités «publient toujours des livres, sont toujours invitées sur les plateaux télé».

«C'est fou de voir ça, tout le monde sait quel genre de personnes ils sont», dit à l'AFP la Parisienne de 32 ans, aujourd'hui basée à Los Angeles. «Pourquoi travaillent-ils toujours?»

«Liberté d'importuner»

Aux Etats-Unis, le dernier film de Woody Allen a été lâché par Amazon, après que les accusations d'abus sexuels sur sa fille adoptive Dylan Farrow – qu'il nie – ont de nouveau fait l'objet d'une large couverture médiatique. Le long métrage pourrait ne jamais être projeté aux Etats-Unis alors qu'il commence à sortir en Europe.

Pendant des dizaines d'années, les défenseurs d'hommes puissants accusés d'abus sexuels ont brandi le cliché du «puritanisme» américain. L'argument a refait surface suite au lancement du mouvement #MeToo en 2017, après la chute du producteur Harvey Weinstein.

Catherine Deneuve a ainsi signé avec une centaine de femmes une tribune défendant la «liberté d'importuner» pour les hommes, l'estimant «indispensable à la liberté sexuelle».

«Sensibilité européenne»

L'actrice américaine Anjelica Huston, qui a joué dans plusieurs films de Woody Allen et se trouvait à la soirée lors de laquelle le crime dont est accusé Polanski s'est produit en 1977, affirme que c'est ainsi que les choses se passaient à l'époque.

«C'est une histoire qui aurait pu arriver 10 ans auparavant en Angleterre ou en France ou en Italie ou au Portugal, et personne n'en aurait entendu parler. Et c'est comme ça que ces types aiment passer leur temps», a-t-elle dit au magazine New York.

«Il y avait tout ce mouvement playboy en France quand j'étais jeune fille», a ajouté l'actrice, 68 ans aujourd'hui. «C'était de rigueur pour la plupart de ces types comme Roman qui ont grandi avec la sensibilité européenne».

Optimisme

Pour l'historienne française Laure Murat, qui a publié l'an dernier «Une révolution sexuelle? Réflexions sur l'après-Weinstein», «crier au puritanisme et à la censure est un raccourci paresseux».

«Je crois que la défense systématique du 'grand artiste', de son impunité miraculeuse, est un alibi pour tout autre chose. Il y a, derrière, une volonté délibérée de ne pas rentrer dans le débat», a-t-elle dit à Mediapart en 2018.

Aujourd'hui, Audrey Clinet s'inquiète d'une lassitude face aux scandales. Elle est toutefois optimiste pour l'avenir, dit-elle, parce que les jeunes des deux côtés de l'Atlantique grandissent «avec une nouvelle éducation» concernant les questions d'égalité entre les sexes.

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