Interview Bruno Masure: «Là, j’ai l’impression de regarder la télévision soviétique»

Caroline Libbrecht / AllTheContent

2.7.2018

A 70 ans, Bruno Masure n'a rien perdu de son mordant. Au contraire! Il a présenté les journaux télévisés de TF1, puis de France 2, pendant 13 ans. Aujourd'hui retraité, il est devenu un téléspectateur sans concession et passe au crible les personnalités du petit écran.

Bluewin: Le grand public était habitué à vous voir beaucoup à la télévision, entre 1984 et 1997, quand vous étiez aux manettes du Journal télévisé, sur TF1, puis sur France 2. Aujourd’hui, comment occupez-vous votre temps libre?
Bruno Masure: Je m’occupe de mes chats qui ont besoin de moi (rires). Il y a tellement de voyages à faire, de livres à lire, de films à voir… Se retrouver à la retraite, payé à ne rien faire, quand on est en bonne santé, on ne peut pas rêver mieux! On n’a pas la pression d’un patron sur le dos. Personne ne nous demande de comptes.

«Je me rongeais les ongles et je les ronge encore!»

Avec le recul, quels souvenirs gardez-vous de ces années au JT?
C’est prestigieux et très bien payé. On gagne deux à trois fois plus que les copains de la rédaction. Comme dans tous les métiers, il y a des moments exaltants et d’autres où la routine prend le pas, les jours où l’actualité n’a pas de talent. Sincèrement, j’ai mille fois plus de bons souvenirs de la période où j’étais journaliste politique sur le terrain. C’était plus jouissif et moins routinier que d’être dans le fauteuil du présentateur, de 9h à 21h. On est dans la lumière, mais il y a un côté notaire!

Quel genre de présentateur étiez-vous?
Je me rongeais les ongles et je les ronge encore! Je pense que les comédiens sont pareils: le trac est là, et pas seulement au début. Il y a un vrai stress, une vraie adrénaline. Chacun gère ça selon sa personnalité: j’étais fasciné par Patrick Poivre d’Arvor et Claude Sérillon qui arrivaient au studio du JT au tout dernier moment, provoquant beaucoup de stress à la maquilleuse! Moi, j’arrivais toujours avant.

«PPDA adorait les mondanités, alors que je préférais rentrer chez moi et bouquiner.»

Vous aviez dit que vous étiez, avec PPDA, «comme le jour et la nuit». Pourquoi?
A l’époque, les gens nous comparaient. On fait le même métier, mais on est très différents. On n’a pas la même façon de fonctionner. Ce n’est pas une critique: il adorait les mondanités, alors que je préférais rentrer chez moi et bouquiner.

Le métier de présentateur s’est «starisé», avec l’émergence de présentateurs vedettes. Suivez-vous leurs JT?
Oui, car je suis très intéressé par l’actualité. Mais j’ai toujours trouvé qu’on «starise» trop le présentateur qui n’est que la face émergée de l’iceberg. Selon moi, ce qui compte, c’est la qualité des reportages et tout ceux qui travaillent dans l’ombre. D’ailleurs, quand le présentateur est remplacé pendant les vacances, l’audimat ne bouge pas!

«Quand Jean-Pierre Pernaut dit en conférence de rédaction: «Pas question de parler de l’Afghanistan aujourd’hui», on n’en parle pas!»

Sur Jean-Pierre Pernaut, vous dites qu’«il est la honte de la profession. Pour faire un bon JT, il faudrait faire exactement l’inverse». On imagine que votre franc-parler ne vous vaut pas que des amis!
C’est un peu exagéré, pour le plaisir d’être méchant (rires)! Mais c’est quand même ce que je pense. Sur TF1, chaîne privée, le présentateur, c’est le patron. A l’époque, PPDA avait un poids éditorial sur son JT bien plus fort que moi, sur France 2, chaîne publique. Sur le service public, on passait des heures à discuter tous ensemble des choix éditoriaux. A l’inverse de TF1 où le présentateur impose seul ses choix. Et c’est caricatural avec Pernaut. Quand il dit en conférence de rédaction: «Pas question de parler de l’Afghanistan aujourd’hui», on n’en parle pas! Comme ça ne l’intéresse pas, il décide que cela n’intéresse pas les téléspectateurs. Et beaucoup de sujets de politique intérieure ou étrangère passent ainsi à la trappe. Et il est conforté dans ses choix parce que cela marche!

«Si on veut passer un week-end crapuleux avec une fille ou un garçon, il vaut mieux éviter certains hôtels prisés.»

Vous n’avez jamais eu à souffrir d’une surmédiatisation, malgré quelques confidences éparses sur votre vie personnelle (il avait révélé sa bisexualité à Mireille Dumas, ndlr). Comment avez-vous réussi à protéger votre vie privée?
Justement, comme je ne cachais pas grand-chose, je n’étais pas un bon client pour les paparazzis qui cherchent à faire des révélations. J’ai eu de la chance, je suis passé entre les gouttes. Il y a des gens qui se plaignent d’être «flashés», mais quand on a une maîtresse et qu’on ne veut pas que cela se sache, on évite de l’emmener à Roland-Garros (rires). Il y a aussi beaucoup d’hypocrisie! Si on veut passer un week-end crapuleux avec une fille ou un garçon, il vaut mieux éviter certains hôtels prisés.

Est-ce dur d’exister après le JT?
Oui, la descente est rude. Toutes proportions gardées, c’est un peu comme «le spleen de Matignon». Tous les Premiers ministres racontent que, quand on quitte ses fonctions, cela laisse un grand vide: on se retrouve soudain seul chez soi avec sa bonne femme et son chat. Une rédaction de télé, c’est comme une ruche… ou un asile de fous (rires). Quand vous vous retrouvez seul avec vous-même, la rupture peut être brutale, il faut gérer!

«J’ai dit oui sans bien comprendre ce qu’il me proposait!»

Du coup, vous n’avez pas hésité quand Michel Drucker vous a proposé, en 1999, de rejoindre la bande de «Vivement dimanche»?
Je me trouvais dans un bus, en Grèce, quand il m’a appelé. La liaison téléphonique était très mauvaise. J’ai dit oui sans bien comprendre ce qu’il me proposait! (rires) Je n’ai pas regretté. La première année, c’était très sympa, on a bien ri. Puis, d’année en année, c’était moins bien. C’était un peu compliqué pour moi de trouver ma place, entre le sérieux et l’humour. J’avais le cul entre deux chaises. Geluck faisait des numéros délirants, Miller faisait le gauchiste déchaîné. Moi je navigais entre deux styles, j’avais deux casquettes, et ce n’était pas évident.

Vous ne mâchez pas vos mots. Regrettez-vous parfois vos saillies contre Ardisson, Hanouna, Elkabbach, Holtz, et d’autres? Ou les assumez-vous?
C’est le charme et l’inconvénient de Twitter: on est dans l’instant et on réagit à chaud. Avec le recul, on se dit qu’on aurait pu être plus modéré. Mais j’ai toujours des raisons précises de le faire. Quand Laurence Ferrari n’a pas participé à la grande grève de iTélé (rebaptisée CNews, NDLR), je me suis laissé aller en la traitant de «pétasse». Pour moi, «pétasse», c’est quelqu’un qui se prend trop au sérieux. Je n’ai pas retiré mon tweet, j’assume…

«Quand on fait de la propagande, il faut le faire intelligemment.»

Même si ces coups de gueule vous valent quelques animosités?
Je ne fais pas ça pour faire parler de moi. Ce sont des colères, des réactions à chaud. Je préfère maintenant ne plus regarder les émissions d’Yves Calvi, car je sais que cela va m’énerver. Depuis le début du mandat de François Hollande, il a fait du Hollande bashing. Il s’entoure de personnalités marquées à droite, son émission est très clairement orientée à droite. C’est agaçant! J’ai le sentiment qu’on prend les téléspectateurs pour des idiots. C’est honteux de faire une émission aussi partisane, surtout quand c’est diffusé sur une chaîne du service public. Quand on fait de la propagande, il faut le faire intelligemment. Là, j’ai l’impression de regarder la télévision soviétique.

Mais il y a aussi des prises de tête qui finissent bien, comme avec Thierry Ardisson…
Oui, c’était l’an passé, lors de la parution d’un des mes livres, «Élysée Academy». Il m’avait invité dans son émission «Salut les Terriens» pour en parler, avant de renoncer, sans explication. Je lui ai demandé les raisons par SMS, en vain. Cela m’a énervé. Finalement, il a balancé mon numéro de téléphone à l’antenne. Mais, grâce à Laurent Baffie, ça s’est arrangé, on a sorti le drapeau blanc et on s’est réconciliés sur le plateau de son émission. Il m’a même laissé parler assez longuement de mon livre… C’est ça aussi, la télévision!

Dernier livre de Bruno Masure: «Élysée Academy», Editions Hugo Doc, paru en 2017.

Que sont devenus ces enfants stars?

Retour à la page d'accueil