InterviewClaude Sérillon: «Je ne suis pas sûr que tout cela serait possible aujourd’hui»
Caroline Libbrecht / AllTheContent
4.9.2018
Figure du journal télévisé français pendant 25 ans, Claude Sérillon décide de rejoindre, en 2013, l’équipe du Président François Hollande… A la surprise générale! Un passage à l’Elysée chahuté, mais enrichissant. Aujourd’hui, il nous présente son dernier roman.
Bluewin: Fort d’une longue carrière de journaliste et de présentateur, quel regard avez-vous sur l’évolution du métier aujourd’hui?
Claude Sérillon: à l’époque, il y avait nettement moins de chaînes de télévision, il n’y avait pas de réseaux sociaux, la personnalité du présentateur jouait plus qu’aujourd’hui où on demande à chacun de suivre le flux de l’actualité, sans innover. Il y avait seulement deux grands journaux: celui de la Une et celui de la Deux. Aujourd’hui, on a la possibilité à tout moment de chercher des informations sur Internet. Les temps ont bien changé. Le virage date de 1981 et de l’élection de François Mitterrand, avec l’avènement des radios libres et des télévisions privées.
«En France, les liens entre personnalités politiques et journalistes ont toujours été un peu compliqués.»
En septembre 1999, vous avez fait l’interview du Premier ministre français Lionel Jospin, interview qui lui a déplu et qui vous a valu votre poste… On ne vous a plus vu à la tête d’un JT. Pouvez-vous nous raconter?
C’est Manuel Valls, son porte-parole de l’époque, qui m’a avisé que Lionel Jospin ne reviendrait plus sur France2, tant que j’y serai. C’est un des épisodes de ma vie professionnelle. Je n’en tire aucune gloire personnelle. Quand on fait ce métier, il faut avoir un minimum de courage, le mot est peut-être un peu fort, et il ne faut pas céder. En France, les liens entre personnalités politiques et journalistes ont toujours été un peu compliqués. La plupart des grands patrons de presse sont des industriels. Heureusement, il reste la télévision du secteur public, avec quelques émissions qui permettent de travailler en toute indépendance. Mais cette indépendance, il faut la conquérir tous les jours, se battre pour la garder.
Votre coeur a-t-il toujours balancé du côté de la télévision publique?
Tout à fait, même quand j’étais sur TF1, la chaîne n’était pas encore privatisée. C’est un état d’esprit: il y avait, sur le secteur public, une possibilité de créer des émissions et d’innover. Je suis très fier d’avoir fait une émission de géopolitique pendant 12 ans, j’ai aussi participé à la création du Téléthon… Je ne suis pas sûr que tout cela serait possible aujourd’hui. La situation est plus critique de nos jours. On est dans un souci comptable excessif et on risque de détruire des émissions et tout un état d’esprit. Il faut savoir sanctuariser la télévision et la radio du service public, tout en étant vigilant sur la dépense de l’argent public.
Après votre éviction du JT de France2, comment avez-vous rebondi?
J’ai travaillé sur la chaîne francophone TV5 pendant deux ans et demi. Puis Michel Drucker m’a proposé de rejoindre «Vivement Dimanche prochain», proposition inattendue car je connaissais mal le milieu artistique. J’ai appris beaucoup de choses à ses côtés. Je lisais et chroniquais des livres. On proposait des livres, des voyages, une ouverture sur le monde, tout ça dans la bonne humeur. Cette période de cinq années a été formidable.
«Contrairement à ce qu’on a pu penser, je ne m’occupais pas de communication à l’Elysée.»
Période qui s’achève en 2012. Le 3 janvier 2013, vous êtes nommé conseiller à la présidence de la République. A la surprise générale. Comment un journaliste devient-il conseiller d’un Président?
Je connaissais François Hollande depuis des années, sans être encarté au Parti Socialiste. Je suis devenu son conseiller particulier, tentant de me rendre utile pendant 20 mois, avant de partir. Cela a été une expérience formidable: j’ai appris ce qu’est la gestion d’un Etat au plus haut niveau, l’absence parfois de vie collective des partis politiques qui se déchirent entre eux, l’envers du décor du monde médiatique… Cela a été violent et difficile; on m’a attribué tout un tas de tâches et de responsabilités que je n’avais pas. Contrairement à ce qu’on a pu penser, je ne m’occupais pas de communication à l’Elysée, toute une équipe était dédiée à cela.
«Curieusement, aujourd’hui, il y a une fascination des journalistes pour Emmanuel Macron...»
Avez-vous souffert du «Hollande bashing»?
Oui, j’en ai souffert pour lui, tout d’abord. Cela avait commencé avec Nicolas Sarkozy, cela s’est poursuivi avec François Hollande. Curieusement, aujourd’hui, il y a une fascination des journalistes pour Emmanuel Macron qui est certainement plus habile en termes de communication.
Le 16 juillet 2014, vous démissionnez. Comment cela s’est-il passé?
Très simplement, je suis allé voir le Président. Je lui ai dit que je n’étais plus utile à cette tâche et je suis reparti aussi tranquillement que j’étais entré. Nous sommes restés en contact, bien sûr. J’ai de l’amitié pour François Hollande, il n’y a aucune raison de la renier.
Pendant cette période à l’Elysée, vous avez cotoyé Emmanuel Macron. Aviez-vous imaginé son destin présidentiel?
Pas du tout! Nos bureaux étaient côte à côte pendant presque deux ans. Je pense que personne ne l’imaginait, je ne sais même pas si lui-même l’imaginait à ce moment-là.
Votre dernier livre, «Un déjeuner à Madrid» (Ed. Cherche Midi), s’intéresse à la petite histoire au sein de la grande Histoire. Comment vous est venue l’idée de ce livre?
En télévision, ce serait un docu-fiction. Je me suis intéressé à une énigme de l’histoire contemporaine: je me suis demandé «Pourquoi le général de Gaulle est-il allé rencontrer Franco à Madrid en 1970?» Il n’y a pas vraiment de réponse connue, les archives sont rares. L’un des symboles de la résistance au nazisme a voulu rencontrer l’infréquentable Franco qui était ravi de le recevoir. J’ai travaillé là-dessus pendant plusieurs années. C’est à la fois le récit historique du voyage et la retranscription de leurs échanges - fruit de mon imagination. Le résultat est un livre entre enquête et roman, entre journalisme et pièce de théâtre. Cela donne à réfléchir sur les grands de ce monde, qu’il soient dans le bon ou le mauvais camp, comment ils s’affranchissent parfois des règles et reprennent leur liberté.
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