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Interview Laurent Romejko: «Il y a bien quelque chose qui se détraque»
Samuel Bartholin /AllTheContent
20.8.2018
Sous son air d’éternel jeune homme bien élevé, Laurent Romejko est un pivot du service public télévisuel en France, attaché depuis les années 1990 à la présentation du bulletin météo, ainsi qu’à celle de «Des chiffres et des lettres», le plus ancien jeu quotidiennement diffusé. Depuis 2012, il présente en outre «Météo à la carte» sur France 3, ambitieux programme d’une heure dédié au temps qu’il fait, et son impact sur la santé, l’environnement, et le quotidien.
Est-ce que l’audience de «Météo à la carte» profite d’événements météorologiques exceptionnels comme les violents orages du mois de mai?
Laurent Romejko: oui, très certainement, cela dit… On a toujours un dilemme: quand les conditions météo sont comme ça, très particulières, on se retrouve du coup toujours avec une concurrence très vive de la part des journaux télévisés de TF1 et France 2 qui vont forcément traiter aussi ces sujets, vous voyez? Cela dit, cela fait maintenant quelques années qu’on a réussi à mettre notre empreinte, et le téléspectateur est sans doute en confiance car effectivement, cela marche très bien quand il y a des intempéries. Même si c’est un peu délicat de le dire ainsi: les inondations, les soucis météo, les choses de ce genre forment notre «fonds de commerce» tout comme les malheurs, les catastrophes font le business des JT… Maintenant, nous avons l’avantage dans «Météo à la carte» d’offrir aussi le journal du temps, un bulletin hyper-développé, des prévisions sur neuf jours… Et puis cette prise directe avec la réalité des téléspectateurs qui nous envoient un nombre incroyable de photos, que l’on diffuse, même si l’on ne peut pas tout mettre.
«On a forcément dans le lot de temps en temps quelques blagueurs, des «fake news»...»
Justement, la particularité de l’émission, c’est de marier des choses intemporelles (le temps qu’il fait, les terroirs) avec des technologies d’aujourd’hui, de l’interactivité…
Oui, et d’une façon relativement simple, car maintenant envoyer une photo est devenu facile, mais ça nous permet de jouer ainsi de l’immédiateté. Alors, il faut bien sûr être prudent quand on a un afflux de photos, on a des équipes qui vérifient tout, car on a forcément dans le lot de temps en temps quelques blagueurs, des «fake news», ce genre de choses… Je me souviens en 2012, on venait juste de commencer l’émission, il y a eu la fameuse tempête Sandy aux Etats-Unis, on couvre beaucoup le sujet, soudain, à la rédaction, on me dit: «On a reçu un truc: avec la houle, un requin s’est retrouvé projeté dans Manhattan.» Ça me semble tout de suite très improbable, mais pas mal d’autres médias l’ont diffusé avant de se rendre compte que c’était bidon… Il ne faut pas tomber non plus dans la précipitation.
Vous avez été associé dès l’origine au concept de l’émission dédié à la météo sous toutes ses déclinaisons?
Oui, début 2012, la direction de France 3 m’appelle et me dit: «Voilà, on a une idée, on pensait mettre en place un magazine quotidien, en direct, axé sur la météo, entre 13 et 14 heures.» Puis on me pose deux questions: est-ce qu’il y a la matière? Est-ce que vous êtes partant? Forcément, moi, faisant de la météo depuis bien longtemps, j’avais déjà réfléchi à la question, et je leur ai répondu «oui», tout de suite, aux deux questions. Très rapidement, on a réfléchi avec la direction des magazines, j’ai apporté mes idées, puis on a monté une coproduction, entre France 3 et la société Enibas. Donc, pour moi, c’est un peu mon bébé! (sourire)
«Je sentais les petits sourires en coin: «Ah? Un magazine de 35 minutes sur la météo?»»
C’est un rêve pour un passionné de météo, en somme!
Oui, d’autant que c’est une première, non seulement en France, mais aussi en Europe: il existe un programme au Royaume-Uni, mais sous forme hebdomadaire, donc un peu différente. Mais un magazine quotidien, aussi développé, sur la météo, c’est le seul en Europe, c’est une vraie fierté. D’autant que ce n’était pas gagné d’avance, certains s’en amusaient, je sentais les petits sourires en coin: «Ah? Un magazine de 35 minutes sur la météo?» Et maintenant, on en est à 52 minutes… Donc, il y a le plaisir de cette création, et aussi celui de se retrouver tous les jours à faire une émission en direct: ça, c’est la «Royce Rolls», le top…
Vous vous trouvez cependant face à un mastodonte, le 13 heures de TF1, qui joue aussi la carte météo et ancrage en régions…
Oui, le 13 heures de TF1 joue aussi la carte régions… Bon après, c’est leur formule qui est là depuis longtemps. Nous, on ne s’est pas dit en se lançant: «On va faire comme TF1», mais on est resté au contraire simplement dans l’ADN de France 3. France 3, c’est la chaîne des régions, et il me semble au fond plus logique que ce soit elle qui fasse un magazine très axé régions et terroirs que TF1… Après, c’est leur problème, dans le fond ça les regarde! Nous, on ne s’est pas dit, «On va s’inspirer de Pernaut» (Jean-Pierre Pernaut, emblématique présentateur du 13 heures de TF1, NDLR), la question ne s’est pas posée: c’était l’identité de France 3, qui dispose en outre des ressources, des équipes de France 3 région qui couvrent tout le territoire, donc avec une mine d’informations, de reportages…
D’autant que les angles de reportages ne sont en l’occurrence pas les mêmes…
En effet, surtout que quand on parle de météo, on arrive facilement sur une information qui n’est pas très souriante, avec les problèmes de réchauffement climatique, de dérèglements. Ceux qui travaillent au contact de la nature s’en rendent bien compte, et en premier lieu les agriculteurs… Tout le monde fait ce constat, après, il y a des situations positives, avec des gens qui disent: «Il faut s’y prendre autrement, désormais, on ne va plus cultiver comme le faisait le grand-père dans l’exploitation.» On soulève les problèmes, mais on décrit aussi des solutions.
«Quand le mercure monte à trente degrés en Norvège, il y a un truc qui n’est pas normal!»
Cette question du réchauffement climatique vous tient particulièrement à cœur?
C’est un sujet qui me passionne! J’ai commencé à faire de la météo en 1989, rapidement il y a eu le sommet de la Terre de 1992, à Rio, qui marque une prise de conscience… Aujourd’hui, on travaille toujours en dialogue avec des scientifiques, d’une part pour que je comprenne bien ce qui se passe! Et d’autre part, parce que les scientifiques ont parfois un discours académique qui a du mal à passer auprès du grand public. Après la conférence de Copenhague, en 2009, il y a eu un vent de climato-scepticisme qui est passé, avec des gens qui disaient: «Il n’y a pas de réchauffement climatique, ou du moins ce n’est pas lié à l’homme.» C’est un peu retombé depuis, mais les scientifiques du GIEC, qui avancent la thèse du réchauffement climatique, se sont rendus compte qu’ils avaient du mal à communiquer. Depuis, on essaie davantage de travailler ensemble, pour faire aussi passer un message.
Est-ce que depuis votre position de journaliste météo, depuis presque trente ans, vous avez vu des changements advenir?
Oui, après, c’est toujours compliqué d’établir scientifiquement le lien entre un événement météorologique extrême et le réchauffement climatique. Cela dit, quand il y a une répétition d’événements, à un moment, même si on n’affirme pas, on s’interroge! Voyez ce qu’on vit en ce moment, ces situations de blocage où au mois de mai, on a eu une température plus élevée en moyenne à Oslo qu’à Toulouse. Quand le mercure monte à trente degrés en Norvège, il y a un truc qui n’est pas normal! On pourrait remonter beaucoup plus loin, mais prenons le cas, pas plus tard qu’en février dernier, de la vague de grand froid «Moscou-Paris», alors que dans le même temps, de l’air chaud gagnait le nord du Groenland, où on était à 20-25 degrés au-dessus des normales saisonnières… Il y a bien une anomalie, quelque chose qui se détraque. Voyez l’exemple des cyclones qui ont frappé les Antilles l’automne dernier: il n’y a pas plus de cyclones aujourd’hui qu’hier, mais ils ont sans doute gagné en puissance avec les eaux de l’océan qui sont plus chaudes. Évidemment, après, le climat c’est une chose tellement complexe, avec tellement d’éléments: c’est une science où se mêle toutes les disciplines scientifiques. On voudrait certes, nous, disposer de réponses, de certitudes, mais les scientifiques sont obligés de conserver une prudence, des doutes, pour faire avancer leurs recherches. Alors on essaie simplement de mettre ça en lumière et d’attirer l’attention dessus…
«Quelque part, j’étais un peu le petit frère, ils étaient juste un peu plus âgés et ont été extrêmement bienveillants avec moi.»
Pour évoquer un sujet beaucoup plus trivial, mais qui appartient au patrimoine de la télévision française: vous animez depuis 1992 «Des chiffres et des lettres», une des plus anciennes émissions à l’antenne…
Ah oui! Quand je suis arrivé là-bas, j’étais loin d’imaginer que j’allais durer aussi longtemps, et même plus longtemps que Patrice (Laffont, NDLR), qui l’a animé de 1972 à 1989… On se laisse porter, mais il y a aussi après le plaisir de présenter un programme qui est porteur – je ne dirais peut-être pas d’une mission, mais d’un rôle: on a pas mal de témoignages de gens qui ont trente, quarante ans, qui sont candidats, ou bien simplement téléspectateurs, qui nous écrivent et nous disent: «J’ai appris l’alphabet, ou je me débrouille en calcul mental, grâce à vous», «Je regardais l’émission avec mes parents, mes grand-parents, etc.» Alors, ce n’est peut-être pas grand-chose, mais on se dit qu’on a servi un peu à quelque chose!
Quelles relations vous entretenez avec vos co-animateurs, Arielle Boulin-Prat et Bertrand Renard, qui sont là aussi depuis longtemps?
Quand je suis arrivé, j’étais un peu jeune: en 1992, je n’avais même pas trente ans alors que je commençais à présenter l’émission. Quelque part, j’étais un peu le petit frère, ils étaient juste un peu plus âgés et ont été extrêmement bienveillants avec moi. Et puis au fil des ans, il y a plus qu’une relation professionnelle, c’est une relation amicale qui se développe: ce sont deux camarades de jeu pour qui j’ai beaucoup d’affection, on s’entend bien. Il y a huit jours de tournage par mois pour «Des chiffres et des lettres» - l’émission n’est pas en direct - et à cette occasion, c’est toujours un plaisir renouvelé de se retrouver.
«C’est aussi souvent lié à des événements, à des frustrations: par exemple, après le décès de mon père…»
Enfin, pour conclure, vous avez, semble-t-il, récemment réussi à arrêter de fumer?
Je fumais des cigarettes, de façon plus ou moins régulière, depuis que j’étais étudiant. C’est aussi souvent lié à des événements, à des frustrations: par exemple, après le décès de mon père… Mais récemment, en novembre 2017, à l’occasion du mois sans tabac, Michel Cymes (médecin et animateur télé, NDLR) m’a proposé qu’on arrête ensemble. Depuis, ça ne me manque pas, sauf parfois à l’issue d’un bon repas avec quelques amis, quand certains sortent fumer, et qu’on se dit: «Tiens! J’aimerais bien m’en griller une.» Ça passe: j’ai craqué seulement en deux occasions, et le goût m’a déplu. Maintenant, cela fait combien de temps? Huit mois, déjà? Voyez, je n’ai pas compté, c’est plutôt bon signe!
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