Peter Volkart est un cinéaste et artiste indépendant. Face à l’administration, il aime se présenter comme «bricoleur» ou «décorateur», deux termes tout à fait adéquats, car son art vit d’une surprenante esthétique artisanale.
Avec ses courts métrages, Peter Volkart est présent dans le monde entier. Il a été invité à Hong Kong, Montréal, Sienne, Neuchâtel et Zurich, et a été à chaque fois honoré par des prix. En avril dernier, il était au Festival international du court métrage de Busan, en Corée du Sud. Sur leur site web, les organisateurs ont annoncé qu’avec lui on pouvait s’attendre à un «moment magique».
Avec ses courts métrages, le cinéaste propose des «récits de voyage purement imaginaires» et dit vouloir montrer ainsi «la réalité derrière la réalité, comme seul le cinéma peut le faire.»
Collision de deux mondes
Au cours des quinze dernières années, il a créé une esthétique et un genre cinématographiques particuliers que l'on pourrait qualifier de «réalisme imaginaire». De manière toujours renouvelée, il provoque ce qu’il appelle une «collision situationnelle de deux mondes». Il met en scène des voyages mystérieux qui se hasardent en terrain inconnu et hantent la conscience comme des feux follets, comme par exemple dans «Terra incognita» en 2005.
«J'ai toujours voulu tourner une sorte de film d’explorateurs, comme il y en avait vers 1900: des plans flous d'expéditions d'Amundsen et Scott, par exemple.» C’est à l’exemple de ces pionniers que dans «Terra incognita», le pataphysicien Igor Leschenko part à la recherche du légendaire Nanopol où, d'après ses calculs, la gravité serait suspendue. L'entreprise réussit-elle vraiment, ou seulement dans la tête du héros?
Comme ce film, chacun des courts métrages de Peter Volkart suit sa propre idée fixe, mais tous ont en commun une «esthétique vintage ou rétro-future», qu'il produit lui-même avec beaucoup de patience. En plus de son imagination débordante, il a un penchant indéniable pour le travail artisanal.
Attiré par la technologie
Ce talent, il l’a découvert très tôt. Il naît en 1957 dans une famille paysanne à Steinmaur, dans la campagne zurichoise. Au lieu d’aider à la ferme comme ses frères et sœurs, il préfère faire des inventions comme cette «machine à cueillir les pommes tombées de l’arbre pour éviter de se pencher». La description qu’il fait de mémoire de cet engin est toujours approximative et laisse penser que le concept n'était pas vraiment abouti. «Mais l'idée y était», assure-t-il.
Attiré par la technologie, il entame un apprentissage d'électricien radio. Cela se révélera une chance à plusieurs égards. Les compétences acquises lui servent aujourd'hui encore dans la construction d'objets et d'effets bizarres. Mais l’apprentissage au quartier zurichois du Niederdorf lui fait surtout découvrir un nouveau milieu. Depuis sa place de travail, il peut observer, de l'autre côté de la ruelle, des artistes, dont le musicien Dieter Meier, qui passent des après-midis entiers au Café Schlauch à jouer au billard. «Cela m'a déjà fait penser à l'époque qu’être artiste pourrait être une option.»
«You wanna do that job?»
Deux semaines après avoir terminé son apprentissage, en 1976, il entre à la F+F, une école d'art et de design à Zurich. Ses proches accueillent cette décision avec scepticisme. «Un jour, se souvient-il, ma mère m'a écrit que si jamais je devenais un criminel et que je devais aller en prison, je pouvais toujours compter sur eux.» On n'en est pas arrivé là. Peter Volkart a trouvé son chemin, et il l’a poursuivi résolument.
Sa formation à la F+F lui permet de poursuivre ses études à l'étranger grâce à une bourse suisse. Avec une amie, il fréquente la New York School of Visual Arts de 1980 à 1983. Il reste finalement neuf ans à New York en évoluant artistiquement et en faisant toutes sortes de travaux pour vivre.
Son habileté artisanale lui est fort utile pour trouver des emplois. «You wanna do that job?«, me demandait-on, puis: «Can you do it?» – et c’était tout, le reste se faisait au travail.» C’est ainsi qu'il fait connaissance du monde du théâtre, assiste à des tournages de film et contribue à construire un cinéma expérimental. Parallèlement à ces jobs comme charpentier et dans la vente.
Le potentiel de l'ordinateur
L'aventure prend fin en 1989. De retour en Suisse, il se tourne vers la création d’objets insolites et de concepts ludiques. Cette transition se manifeste dans un livre aujourd'hui épuisé qui faisait partie d’une exposition en 1990. Le personnage clé du livre, «Wendelhammer», rassemble dans un musée imaginaire toutes sortes d'artefacts archéologiques des débuts du modernisme que Volkart a créés lui-même.
Il continue à gagner sa vie selon la devise «faire des métiers intéressants», que ce soit dans la décoration ou dans le graphisme, pour lequel il découvre très tôt le potentiel de l'ordinateur. «L'ordinateur a ouvert des possibilités pour quelqu’un comme moi qui s’est fait tout seul. Sans emploi fixe, j’ai continué à faire semblant de savoir ce que je faisais.»
Une innovation technique à la fin des années 1990 le fait revenir au cinéma. «La cassette MiniDV était à l'époque un format révolutionnaire qui permettait de travailler d'une manière complètement différente», se souvient-il. Avec cette première caméra numérique, rien ne s'opposait plus à ce combattant solitaire dans le monde du cinéma.
L’objet et son âme
L'interaction de l'analogique et du numérique est à l’œuvre dans son studio à Zurich-Altstetten: «J'ai ici deux pièces: la salle informatique et l'atelier», explique-t-il. Sur l'ordinateur, les images peuvent être animées, modifiées et accompagnées de musique. Mais «une tapisserie analogique est et reste autre chose qu'une tapisserie numérique.» Un papier peint vieilli ne peut être fabriqué qu'à la main, avec soin et attention aux détails, ce qui «donne à l'objet son âme», affirme-t-il.
Ce travail artisanal n'est cependant pas son objectif, il doit plutôt servir une esthétique qui produit une patine de surface et des images floues dans un look rétro cinématographique. Le flou calculé crée ces effets qui font basculer le réalisme dans l'imaginaire. «L'essentiel, c'est le flou, les moments de basculement dans le récit.» Ses courts métrages réussissent ainsi à déstabiliser subtilement nos idées sur l'espace, le temps et la logique.
Afin de maintenir l'équilibre imaginaire-réaliste dans ses courts métrages, Volkart renonce à tout dialogue. Il se limite à des commentaires off pleins de drôlerie et garde ainsi le contrôle du texte et des événements. Ses protagonistes restent des figures de jeu silencieuses qui ne s’exposent jamais de manière «hautement réaliste».
L’image instantanée
Avec son dernier ouvrage «Subito. Das Sofortbild», il vient encore de tourner une page cette année. Sous forme documentaire, il raconte l'histoire de l'ingénieux inventeur Edwin Land à qui un éclair de génie donne l'idée du «Sofortbild», l’image instantanée Polaroid. Il vit ainsi une histoire à succès qui s’arrête de manière abrupte à l’arrivée de la numérisation. Le film de Volkart, cependant, fait perdurer l'esthétique de cette technique photographique.
La spontanéité marque aussi sa façon de réaliser ses films. «Je n’élabore pas mes films de manière linéaire, je me sers plutôt de ce que je trouve sous la main», des pellicules, des bandes vidéo ou encore de vieilles cartes postales. Il travaille, dit-il, «comme un sculpteur qui, à la recherche d’une forme définitive, commence par tailler la pierre quelque part.» Le hasard fait partie du jeu.
Volkart aime aussi le flou esthétique du film Super 8, auquel il va consacrer son prochain projet: «L’univers 8 mm. La largeur de la bande étroite.» Une fois de plus, il se lance à la recherche de cette âme qui ne se déploie qu'avec le temps et l'amour du détail. Rien de cela n'a changé à l'ère du numérique.
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