Analyse d'expert «Credit Suisse n'aura pas résolu tous ses problèmes en une semaine»

jh

16.3.2023 - 11:56

Dans la tourmente, Credit Suisse représente une menace non négligeable pour l'ensemble des acteurs bancaires et une source d'inquiétude pour ses clients comme pour ses actionnaires. La ligne de crédit plafonnée à 50 milliards de francs que vient de lui accorder la Banque nationale suisse (BNS) constitue une marque de soutien, mais ne résoudra pas comme par enchantement les problèmes du numéro deux bancaire helvétique. Entretien avec le professeur d'économie Sergio Rossi, de l'Université de Fribourg.

16 mars 2023, Hessen, Francfort/Main : un négociant en bourse surveille l'évolution des prix sur son moniteur. Après les récentes turbulences dans le secteur bancaire, les experts financiers suivent de près l'évolution des bourses internationales. L'aide de la banque centrale suisse au Credit Suisse en difficulté a agi comme un tranquillisant pour le marché boursier allemand.
16 mars 2023, Hessen, Francfort/Main : un négociant en bourse surveille l'évolution des prix sur son moniteur. Après les récentes turbulences dans le secteur bancaire, les experts financiers suivent de près l'évolution des bourses internationales. L'aide de la banque centrale suisse au Credit Suisse en difficulté a agi comme un tranquillisant pour le marché boursier allemand.
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Keystone-SDA, jh

AWP: Quelles difficultés objectives pénalisent actuellement le cours de l'action Credit Suisse?

Sergio Rossi: Credit Suisse fait face à un double déficit de confiance, sur les marchés financiers d'une part et non moins important auprès des déposants de l'autre. Le soutien que lui témoigne la BNS en mettant beaucoup d'argent sur la table doit permettre de récupérer un peu de la confiance des actionnaires actuels ou potentiels, ainsi que des clients. Il reste à voir ce que va en faire la banque, mais c'est sur ces deux piliers qu'il faut agir.

Mais même avec le prêt de la BNS, Credit Suisse n'aura pas résolu tous ses problèmes dans une semaine.

AWP: Quel risque fait courir à Credit Suisse la valorisation historiquement basse de son action?

S.R.: Un cours aussi bas risque d'alimenter la poursuite d'un mouvement de vente, qui va à son tour précipiter encore la chute de la valorisation sans susciter d'intérêt pour le titre si ce n'est de la part de fonds spéculatifs, mais j'en doute à ce stade. La circulation de l'information dans la presse pourrait en outre motiver les petits épargnants à retirer leurs dépôts de Credit Suisse pour les placer par exemple à l'abri de banques cantonales.

Cette fuite de dépôt à son tour poserait des risques de liquidité et de solvabilité à Credit Suisse, menaçant la capacité de la banque à honorer ses dettes dans les délais, voire à les régler même dans les prochaines semaines ou les prochains mois.

AWP: Même à ce prix, Credit Suisse ne constitue pas une cible de reprise potentielle?

S.R.: Credit Suisse en l'état n'est pas intéressant, à moins que l'on puisse abandonner la partie pourrie de la banque et qu'on puisse conserver la partie rentable. Il faudrait ainsi faire éclater cette institution «too big to fail» pour en faire des morceaux dignes d'intérêt pour d'autres établissements financiers.

AWP: Et cette partie «pourrie» consiste en...

S.R. La Banque d'investissement! Ou du moins une grande partie de la banque d'investissement. Contrairement à UBS qui semble avoir appris la leçon en 2008 en s'en détournant pour s'orienter plus vers la gestion de fortune, Credit Suisse n'a jamais changé son fusil d'épaule et en paie aujourd'hui les conséquences. La Banque d'investissement recèle un risque de conflit d'intérêt, du fait notamment qu'elle conseille les entreprises sur le prix des actions que ces dernières comptent mettre en circulation et va acheter ces mêmes actions au moment de leur émission.

Il s'agit aussi d'une activité qui spécule avec l'argent des déposants en plus des fonds propres de la banque. Et ce n'est pas aux déposants de payer les conséquences des erreurs de décisions de placement malheureuses!

AWP: Ceux-ci ne sont pas couverts par les exigences de fonds propres mises en place depuis la crise financière ou le fonds de garantie des dépôts?

Le concept du «too big to fail» reste un ensemble de mesures pour beau temps. Le ratio de fonds propres exigé des établissements bancaires, systémiques ou non, demeure nettement moindre que celui requis de la part des particuliers, quand les contreparties offertes sont constituées de titres financiers et non de biens immobiliers dont la valeur est moins sujette à évaporation par exemple. On l'a vu avec UBS à l'époque, ces coussins de garanties peuvent s'avérer toxiques.

Le montant de 100'000 francs mentionné pour la garantie des dépôts n'est que théorique, dans la mesure ou le fonds alimenté par l'ensemble des banques à cette fin couvre actuellement une somme d'environ 8 milliards de francs. Si une faillite de Credit Suisse par exemple dépasse cette somme, cet excédent ne sera pas garanti. Le problème sera d'autant plus criant si un défaut de Credit Suisse vient à entraîner d'autres établissements dans sa chute.