Moins elle est généreuse, plus elle impressionne les investisseurs. La "courbe des taux d'intérêt" a participé au plongeon de Wall Street mardi, les courtiers s'affolant des pouvoirs de prédiction d'une récession de cet indicateur controversé.
Mardi, le taux d'intérêt sur les bons du Trésor américains à dix ans a terminé à 2,91% contre 2,79% pour les bons à deux ans, soit une différence de 0,12%, ou 12 points de base, la plus basse depuis la crise de 2007-2008. Ce phénomène est connu sous le nom d'"aplatissement" de la courbe des taux.
L'"inversion" de la courbe, qui fait peur aux marchés, survient lorsque le taux d'intérêt à deux ans devient plus élevé que le taux à long terme. Ce point de bascule est surveillé de près dans la mesure où il a historiquement précédé de quelques trimestres la plupart des récessions américaines depuis 1950.
La dernière récession a ainsi été devancée d'une inversion de la courbe des taux en février 2006. Celle de la mi-2001 a vu la courbe s'inverser en février 2000, et celle de la mi-1990 a vu le taux à deux ans passer devant celui à dix ans en janvier 1989.
Ralentissement de la croissance en vue
"Mon interprétation de la courbe est que, bien qu'il soit beaucoup trop prématuré de parler de récession, le marché est en train de nous dire que la croissance et l'inflation vont ralentir l'an prochain", a commenté Karl Haeling, président de la banque LBBW.
Cette situation va à l'encontre de la logique financière ordinaire: en temps normal, plus un investissement s'effectue sur une durée courte, plus le rendement est bas. À l'inverse, plus l'argent investi est bloqué pour une longue période, plus le taux d'intérêt doit venir compenser les risques de l'investissement à long terme, ici l'inflation.
Or "la principale raison pour laquelle cet indicateur est pertinent c'est qu'il montre que l'on est face à un rationnement du crédit", souligne Kathy Jones, à la tête des produits à taux fixe chez Charles Schwab, la maison de courtage.
Les taux à court terme évoluent traditionnellement de pair avec la politique monétaire de la banque centrale américaine (Fed). Celle-ci est engagée dans une hausse de ses taux directeurs, avec pour effet de renchérir le coût du crédit pour les Américains.
Contenir la croissance
Les hausses de taux de la Fed tirent donc les taux des bons du Trésor à court terme, et font pression à la baisse sur les taux à long terme car ces hausses visent justement à contenir la croissance et l'inflation aux Etats-Unis, deux éléments que le taux à dix ans est supposé refléter.
Également source de hausse des taux à court terme, les emprunts très élevés de l'administration américaine à court terme pour financer son déficit.
"Un amoncellement de nouvelles" a par ailleurs dernièrement resserré davantage cet écart, note Mme Jones.
Parmi elles, un discours le 28 novembre de Jerome Powell, le président de la banque centrale américaine, interprété par beaucoup comme la prise en compte d'un ralentissement de l'économie américaine.
Pertinence mise en doute
L'indicateur d'inflation favori de la Fed s'est de son côté montré stable le lendemain, et la dégringolade récente des cours du pétrole de plus de 30% a apaisé les craintes d'une hausse galopante des prix.
De plus, alors que les taux à long terme ont trouvé ces derniers mois leur principal carburant dans l'anticipation d'une croissance robuste, "le ralentissement subi dans certains secteurs comme l'automobile et l'immobilier les font reculer", affirme Mme Jones.
Sur le sujet, l'agence de notation financière S&P a affirmé dans une note mardi que l'économie américaine, après 113 mois d'expansion, avait "atteint un pic".
La pertinence de la courbe est toutefois remise en cause par de nombreux analystes et économistes. Le patron de la Fed lui-même met régulièrement en doute sa capacité à prédire les récessions, quand d'autres estiment que la courbe a été "déformée" par les injections de monnaie dans le système financier.
En août, la Fed de San Francisco a affirmé dans une étude que la "corrélation" historique entre les deux ne signifiait pas forcément qu'il existait un lien de "causalité". Elle a ajouté que le différentiel de taux entre la dette à trois mois et à dix ans était plus pertinent.
Celui-ci est actuellement encore loin de l'inversion, mais les prochaines hausses de taux de la Fed pourraient changer la donne.
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