Pénurie de soignantsDans cet hôpital français à la pointe, un «plan blanc» cache-misère
ATS
23.8.2024 - 07:36
C'est un des établissements les plus modernes de France, mais il n'échappe pas à la pénurie de soignants: à l'hôpital Nord Franche-Comté, les fermetures de lits s'accumulent alors que les besoins ne cessent d'augmenter.
Keystone-SDA
23.08.2024, 07:36
ATS
Confronté à la «saturation des capacités d'hospitalisation», la direction de l'établissement, installé à Trévenans (Territoire-de-Belfort), a activé mi-août son «plan blanc». Ce dispositif est censé permettre la mobilisation de professionnels de santé en renfort, issus de la réserve sanitaire. Mais chez les salariés, plus grand monde n'y croit.
«C'est le cinquième plan blanc depuis 2023, chaque fois en dehors d'un contexte épidémique. La situation n'a rien d'exceptionnel. C'est davantage lié à des problèmes structurels d'effectifs et le fait que ces plans se répètent, c'est un peu désespérant», regrette Luc Kahl, infirmier en bloc opératoire et délégué CGT.
Le déclenchement du plan est lié à un double phénomène: d'un côté, le manque de médecins et de professionnels de santé, aggravé par les départs de salariés fuyant des conditions de travail de plus en plus lourdes.
Une situation qui pèse sur les ressources humaines de cet établissement ouvert en 2017, malgré son caractère «moderne, agréable, attractif», selon les mots de l'ex-ministre de la Santé Olivier Véran, inscrits au livre d'or lors de l'inauguration.
En Bourgogne Franche-Comté, «97% des besoins» dans les spécialités en tensions (médecine d'urgence, anesthésie-réanimation, gynécologie-obstétrique, pédiatrie, radiologie) sont couverts par des médecins intérimaires, selon un rapport publié en juillet par la Cour des comptes.
«On a des restructurations continuellement, on est obligé de s'adapter en fonction des médecins», témoigne Stéphanie Grosbon, déléguée CNI (Coordination nationale interprofessionnelle de santé). «Quand on a un pneumologue, on va rouvrir des lits de pneumologie. Là on n'a plus de diabétologue, donc on ne peut pas ouvrir de lit de diabétologie. On doit s'adapter, mais quand on est face à des personnes âgées qui ont plusieurs pathologies, c'est problématique».
«Le seul phare dans la nuit»
Selon plusieurs sources, une centaine de lits sont actuellement fermés, dont la moitié des services de gériatrie et d'hématologie et la totalité du service d'urologie. Ce sont autant de chambres quasiment neuves qui restent fermées, inutilisées, alors qu'il faut pousser les murs dans d'autres services pour faire de la place à des patients en surnombre.
«Chez nous, ça fait environ trois ans qu'on a un 'bed manager' (gestionnaire de lits, ndlr), qui dispatche les patients. Quand un lit est vide, on oriente un patient, même si ça ne correspond pas: on a des patients de traumatologie qui se retrouvent en gynécologie», explique Luc Kahl.
Mais l'établissement est aussi confronté à une augmentation des besoins de la population. La structure est le seul centre hospitalier du bassin Belfort-Montbéliard où, comme ailleurs, la moyenne d'âge augmente, et où bon nombre de médecins de ville partent en retraite sans être remplacés.
«On est le seul phare dans la nuit pour 350'000 habitants. Par exemple, il n'y a quasiment plus de dermatologue. Et il n'y a aucune clinique privée qui aide l'hôpital, elles ferment au mois d'août, donc on récupère leurs patients. On est les seuls, donc quand les malades arrivent il faut les prendre», explique Stéphanie Grosbon.
Urgences en hausse
Ainsi, entre 2017, première année de fonctionnement de l'hôpital, et 2022 (derniers chiffres publiés), la fréquentation des urgences a augmenté de 12% (107'438 passages en 2022, soit 294 par jour en moyenne, pour un service prévu pour 200 à 250 passages quotidiens), et le nombre de consultations sans hospitalisation a bondi de 20%, pour atteindre 231'000.
Résultat, «quand il n'y a pas de lit, les temps d'attente augmentent. On a des patients qui restent 30, 40, 50 heures sur des brancards, qui perdent la notion du jour et de la nuit. Ça se banalise, mais ça ne veut pas dire que les collègues le vivent bien», déplore Luc Kahl. «Et puis il y a régulièrement des soignants en pleurs. Je ne sais pas si dans le monde du travail en général c'est le cas».
La direction de l'hôpital n'a pas souhaité répondre aux sollicitations de l'AFP.