Incapable de disparaître A-t-on encore besoin du télétexte à l’ère des smartphones?

Gil Bieler

19.2.2020

L’écriture est toujours carrée: visuellement, le télétexte semble aujourd’hui un peu dépassé.
L’écriture est toujours carrée: visuellement, le télétexte semble aujourd’hui un peu dépassé.
Keystone

Ceux qui préfèrent consulter les résultats sportifs via le télétexte plutôt que sur Internet sont en très bonne compagnie en Suisse: le service permettant de parcourir l’actualité sur son téléviseur est toujours très populaire, même à l’ère du numérique. Mais pour combien de temps encore?

Les salons suisses typiques ont bien changé depuis les années 1980. Les radiateurs ont été remplacés par un chauffage au sol. L’affreux papier peint a cédé sa place à un enduit uniforme et les cendriers ont de toute façon disparu de toutes les pièces. Les encombrants téléviseurs à tube cathodique sont quant à eux devenus plats et intelligents. Mais même si la forme des téléviseurs a changé, une chose est restée la même: le télétexte.

Le télétexte a été lancé en 1982, bien des années avant le triomphe d’Internet, et à cette époque, c’était une véritable révolution. Tout d’un coup, tout le monde pouvait faire de son téléviseur un journal, comme l’annonçait DRS, le diffuseur suisse de l’époque. Avec les touches de la télécommande, on pouvait surfer – ou plutôt feuilleter les pages – sans problème. A l’époque, on parlait aussi de «coquilles» dans le télétexte, comme dans le jargon journalistique.

Avant, pas de télétexte sans décodeur

Au début, le télétexte n’était disponible qu’en allemand. «64 pages fortes et parfaitement d’actualité» constituaient initialement le nouveau service, comme l’indiquait à l’époque le reportage télévisé mentionné précédemment. La transmission était purement analogique et s’effectuait via l’intervalle dit de suppression de trame, une zone du signal télévisuel qui ne pouvait pas être utilisée pour la transmission d’images. Pour utiliser ce nouveau service, une pièce de décodeur spéciale était cependant encore nécessaire.

Avec le télétexte, la Suisse s’est soudain dotée d’un tout nouveau service d’information aussi rapide que la radio. La SSR s’est associée à l’ancienne Association suisse des éditeurs de journaux – notamment parce que les éditeurs craignaient la concurrence du journal sur écran. Dix maisons de presse ont commencé à diffuser des informations sur des sujets nationaux et étrangers, tandis que la SSR couvrait le sport et la météo. Des éléments interactifs tels que des problèmes d’échecs et des quiz étaient également disponibles.

Reportage de SF DRS sur le lancement du service de télétexte en 1982.

SRF

C’était donc comme aujourd’hui? Pas exactement: au départ, les pages de télétexte n’étaient mises à jour que de midi à la fin des programmes en soirée. Il a donc fallu encore un peu de temps avant qu’un service d’information 24 heures sur 24 soit disponible. Et bien sûr, l’offre a été considérablement élargie au fil du temps: le français et l’italien ont été ajoutés et sur le canal de la SRF, on trouve même une petite offre en romanche à partir de la page 790.

Près de quatre décennies se sont écoulées depuis son lancement, mais le télétexte ne le montre guère. L’écriture est toujours carrée. En tout état de cause, à une époque où tout le monde a un smartphone dans la poche de son pantalon, une question se pose: a-t-on encore besoin du bon vieux télétexte?

Oui, répond la SSR: «Le télétexte jouit toujours d’une popularité intacte. Le nombre d’utilisateurs est encore élevé», explique Edi Estermann, porte-parole de la SSR, interrogé à ce sujet. Selon lui, 481 000 personnes du groupe cible des plus de 15 ans utilisent chaque jour le service de télétexte de la SSR. Chaque semaine, 1,015 million d’utilisateurs sont comptabilisés, indique-t-il. Ces chiffres se rapportent aux offres en allemand et en français. Il n’y a pas de chiffres communiqués sur l’utilisation de la télévision en langue italienne.

Par ailleurs, le trafic le plus élevé pour le télétexte a été enregistré entre 2010 et 2014, à une époque où Internet était déjà pleinement établi. Selon Edi Estermann, les records d’utilisation sont traditionnellement établis par des événements politiques tels que des élections et des votations et, bien sûr, par le sport: compétitions de hockey sur glace, coupes du monde de football, Jeux olympiques.

A propos de sport: les sections les plus fréquemment consultées sont l’aperçu des sports à la page 180, les résultats des matchs de hockey suisse à la page 301 et ceux des matchs de football de Super League et de Challenge League à la page 202.

Très peu de jeunes devraient se tourner vers le télétexte

Guido Keel, directeur de l’Institut des sciences médiatiques appliquées et professeur de journalisme à la Haute école spécialisée de Zurich (ZHAW), constate également un besoin vis-à-vis du télétexte. Dans des études représentatives sur l’utilisation des médias en Suisse alémanique et romande, davantage de personnes interrogées ont déclaré utiliser le télétexte plutôt qu’Instagram ou Twitter, par exemple. Mais les différences entre les groupes d’âge sont considérables, concède-t-il.

«Il est peu probable que les gens qui ont grandi avec Internet se retrouvent dans le télétexte», indique Guido Keel. Il porte donc un regard critique sur l’avenir du service.

Désormais, le télétexte de la SRF est bien sûr également disponible sous forme d’application.
Désormais, le télétexte de la SRF est bien sûr également disponible sous forme d’application.
Keystone

Edi Estermann et Guido Keel considèrent tous deux que la force du télétexte réside dans la clarté et la compacité de l’offre. Mais l’expert en médias Guido Keel y voit dans le même temps une faiblesse. En outre, précise-t-il, il n’y a aucune possibilité d’interaction ou de connexion avec d’autres offres, contrairement à ce que permet par exemple Internet.

«Personnellement, j’ai toujours été ennuyé par les sous-pages du télétexte, confie par ailleurs Guido Keel. J’avais l’impression de devoir attendre une éternité pour charger par exemple la page 2 sur 2.» Il ne peut pas imaginer que quelqu’un ait encore aujourd’hui la patience pour cela. Lui-même affirme ne plus avoir utilisé le service depuis de longues années. (ndlr: aujourd’hui, les téléviseurs ont en général une mémoire de page suffisamment importante pour afficher le bas de la page immédiatement à l’écran).

Un service voué à survivre dans une niche?

Le professeur de journalisme se dit surpris par la longévité du télétexte. «Toutefois, en sciences médiatiques, on défend la thèse selon laquelle les formes médiatiques ne disparaissent jamais complètement, mais sont refoulées dans des niches par les nouveaux médias.» Dans le cas du télétexte, cette future niche pourrait être par exemple l’information rapide sur les programmes TV en cours – sans devoir changer d’appareil. Cependant, le télétexte est bien sûr disponible depuis longtemps sur le web et sous forme d’application.

En revanche, le porte-parole de la SSR Edi Estermann ne voit pas encore la fin de l’ère du télétexte: «Tant qu’un besoin client existe, il n’y a aucune raison de fermer le télétexte.»

Et qui sait, peut-être que la grande heure du télétexte n’est pas encore venue. En effet, le télétexte continuera de fonctionner – via le signal télévisuel – même si une panne devait un jour paralyser Internet.

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