L'obligation de dénoncer des violences sexuelles sur mineurs demeure-t-elle si les faits sont prescrits et les victimes devenues adultes? Saisie dans l'affaire Barbarin, la Cour de cassation s'est emparée mercredi de cette brûlante question, en pleine libération de la parole.
La plus haute juridiction de l'ordre judiciaire examinait le pourvoi de huit victimes de l'ancien prêtre Bernard Preynat contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon ayant relaxé en janvier 2020 le cardinal Barbarin pour non-dénonciation de ces agressions sexuelles.
La Cour rendra son arrêt le 14 avril. Si elle donnait raison aux parties civiles, ces dernières ne seraient fondées qu'à réclamer d'éventuels dommages et intérêts, la relaxe du prélat étant définitive sur le plan pénal.
Au-delà de l'affaire Barbarin
La portée de la décision que va rendre la Cour de cassation devrait toutefois largement dépasser le seul enjeu de l'affaire Barbarin et des silences de l'Eglise face à la pédophilie.
Alors que la parole se libère sur les violences sexuelles dans leur ensemble amenant le Parlement à légiférer de nouveau, et après la déflagration de l'affaire Duhamel, l'avocat des parties civiles Patrice Spinosi a appelé la haute juridiction à en finir avec «cette omerta familiale, amicale, professionnelle, confessionnelle».
«De nos jours, dans notre pays, est-il encore acceptable qu'un homme, au courant d'agressions sexuelles sur des mineurs, ne les dénonce pas?», a souligné Me Spinosi. Il a plaidé pour que soit posé le «principe que tout fait de violence sexuelle sur un mineur» connu par un tiers soit «porté à la connaissance des autorités».
«Continuer à se taire, ce sera alors décider d'être complice. Ce sera être aussi soi-même un peu coupable», a lancé le conseil des parties civiles.
«Délation»
L'avocate du cardinal Barbarin, Hélène Farge, a de son côté mis en garde contre de nouvelles dispositions qui «au final (seraient) liberticides», car contraires aux droits fondamentaux de la victime elle-même, notamment son droit au respect de la vie privée. «Pour ma part, je préfère considérer qu'une obligation de délation générale ne sert pas l'ordre public», a affirmé Me Farge.
Si dans l'affaire Preynat, le silence de l'Eglise a été «abyssal», les «émotions légitimes» des victimes ne doivent pas «tordre la loi», a-t-elle affirmé.
Quel serait «le sens de punir celui qui n'a pas dénoncé» des faits prescrits, a par ailleurs interrogé l'avocate du cardinal Barbarin, en rappelant qu'il était arrivé au diocèse de Lyon en 2002, plus de dix ans après la fin des «exactions du père Preynat». Ce dernier avait été condamné en mars 2020 à cinq ans d'emprisonnement pour d'innombrables agressions sexuelles commises sur des scouts entre 1971 et 1991.
Victimes en mesure de porter plainte
Philippe Barbarin, qui a depuis renoncé à ses fonctions à Lyon pour devenir simple aumônier en Bretagne, avait été condamné en première instance, en 2019, à six mois de prison avec sursis pour n'avoir pas signalé à la justice certains des faits, non prescrits, dont il avait été informé.
La cour d'appel l'avait relaxé, considérant qu'on ne pouvait rien lui reprocher, les victimes, désormais adultes, étant alors en mesure de porter elles-mêmes plainte.
Une argumentation «critiquable à plus d'un titre», a estimé l'avocat général, qui a proposé la cassation partielle de l'arrêt de la cour d'appel de Lyon. La loi ne précise pas que l'obligation de révélation cesse à la majorité de la victime, a notamment relevé le magistrat.
D'autre part, comme l'ont révélé les travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise ou des «affaires récentes», les victimes, même devenues adultes, peuvent éprouver des difficultés à révéler les faits, «à plus forte raison quand l'agresseur est un proche ou une personne ayant autorité», a-t-il souligné.
Alors que la cour d'appel avait également considéré que l'intentionnalité du délit faisait défaut, Philippe Barbarin n'ayant dissuadé personne de saisir la justice à sa place, l'avocat général a estimé que le seul fait de s'être abstenu, en conscience, de dénoncer les agressions suffisait à caractériser l'infraction.