La vie au travailLes salariés ont tendance à confondre «toxicité» et «amour vache»
Relax
10.7.2024 - 11:51
(ETX Daily Up) – Les réseaux sociaux regorgent de témoignages de salariés contraints de collaborer avec un manager abusif. Le phénomène est tel qu’il est devenu, depuis quelques années, un véritable sujet de recherche sociologique. Si nombre d’études s’intéressent aux caractéristiques des patrons toxiques, rares sont celles à s’intéresser aux raisons qui poussent les travailleurs à accepter cette forme d’autorité néfaste.
ETX Studio
10.07.2024, 11:51
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Une équipe de recherche affiliée à l’Université de l’Ohio et au Providence College a étudié les mécanismes psychologiques à l'œuvre quand on est sous les ordres d’un n+1 problématique. Pour ce faire, ils ont tout d’abord interrogé 576 employés américains issus de divers secteurs d’activité. Ils les ont questionnés à trois reprises sur une période de six semaines sur les comportements abusifs de leur supérieur hiérarchique et sur l'efficacité de ce dernier.
Les chercheurs ont ainsi pu constater que les salariés sont enclins à minimiser les abus de leur manager quand ils le jugent efficace au travail. De leur point de vue, les excès de leur supérieur sont l’expression d’une forme d’amour vache, et non des comportements inadaptés. En revanche, les travailleurs identifient bien plus facilement les dérives managériales de leur chef quand ce dernier leur semble incompétent. «Si les employés considèrent leur patron comme un leader accompli, cela semble incompatible avec le fait qu'il soit abusif. Ils considèrent ses mauvais traitements comme quelque chose de plus positif», déclare Robert Lount, auteur principal de l'étude, dans un communiqué.
Mais comment expliquer ces interprétations divergentes? Par l’optimisme. En effet, les salariés ayant une haute estime de leur manager abusif sont convaincus que la bonté finit par l’emporter sur la sévérité. Ils pensent qu’ils finiront par être récompensés pour leurs efforts, en obtenant, par exemple, une promotion. «Ces patrons peuvent traiter leurs employés avec dureté, mais on peut supposer que leur intention est d'aider leurs subordonnés à réaliser leur plein potentiel – c'est sur ça que repose l''amour vache'. Et si les dirigeants sont très performants, cela signifie qu'ils parviennent à faire ressortir le meilleur de leurs collaborateurs», explique Bennett Tepper, coauteur de l'étude, dans le même communiqué.
Quand la performance masque la maltraitance
Étant donné que la première partie de leur étude repose sur des déclarations, les scientifiques ont décidé de mener une expérience en laboratoire pour étayer leur raisonnement. Ils ont recruté 168 étudiants en licence, à qui ils ont fait croire qu’ils allaient travailler en équipe, sous la supervision d’un mastérant, à la résolution d’un problème. Pendant qu’ils travaillaient, les volontaires ont reçu un message supposément envoyé par leur chef d’équipe. Les chercheurs l’avaient rédigé de telle façon qu’il soit bienveillant ("ne ménagez pas vos efforts") ou bien agressif ("ne me faites pas perdre mon temps avec des idées stupides! Faites mieux qu’un étudiant moyen et ne nous faites pas honte!").
Chaque groupe de travail devait présenter ses idées à son chef d’équipe, avant qu’elles soient examinées par un expert indépendant. Les chercheurs faisaient alors savoir aux participants s’ils avaient mieux réussi l’exercice que leurs concurrents, ou s’ils s’étaient montrés moins bons qu’eux. Quel que soit le résultat obtenu, les étudiants devaient ensuite attribuer une note à leur superviseur.
Sans surprise, il est apparu que les étudiants se laissaient moins atteindre par le comportement abusif de leur chef d’équipe quand les chercheurs leur ont dit qu’ils avaient réussi l’exercice. À l’inverse, ceux qui avaient soi-disant échoué avaient davantage tendance à dire qu’ils avaient été victimes d’un management malveillant. «Cela montre qu'en très peu de temps, un patron abusif peut ne pas être perçu comme tel, s'il se montre très performant», souligne Robert Lount.
Les conclusions de cette étude montrent que les employés peuvent fermer les yeux sur les abus de leur supérieur hiérarchique s’ils l’estiment professionnellement. Ce phénomène psychologique, qui se rapproche en un sens de la dissonance cognitive, explique pourquoi le management toxique est si insidieux. Mais il n’en est pas moins néfaste. Les salariés qui en souffrent peuvent voir apparaître des symptômes similaires à ceux du harcèlement moral «classique»: troubles du sommeil, morosité, anxiété, voire pensées suicidaires.