Témoignage poignant«Il a fallu passer à travers les corps de camarades morts»
AFP
5.6.2024
Débarqué le 7 juin 1944 à Juno Beach, Léopold Thibeault se souvient d'avoir marché sur la plage parmi les corps sans vie de camarades. Lui et douze autres des derniers vétérans canadiens du D-Day témoignent en Normandie pour ne pas «laisser le souvenir partir à la dérive».
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05.06.2024, 07:42
05.06.2024, 07:46
Gregoire Galley
«Quand on est arrivé, il y avait des vagues. Ensuite, dans l'eau, puis sur le sable, il a fallu passer à travers les corps de camarades morts la veille», se souvient Léopold Thibeault, aujourd'hui âgé de 104 ans. Ses médailles militaires scintillent sur sa veste bleue marine.
George Couture aussi porte fièrement ses insignes. Lui a débarqué le 6 juin, «sous les nuages». Alors que des camarades tombent sous les tirs ennemis, il parvient jusqu'à la plage.
381 soldats canadiens sont morts ce jour-là. Lui est capturé le 8 juin par l'armée allemande qui le force à tenir à bout de bras deux camarades gravement blessés, pendant qu'un soldat ennemi les achève d'une balle, raconte sa fille Patricia Pouliot, 64 ans, qui complète les souvenirs de son père quand celui-ci fatigue. Il est envoyé en Pologne dans un camp de prisonniers.
Les vétérans canadiens venus participer aux cérémonies du 80e anniversaire du D-Day, reçoivent dans un hôtel de Deauville. Ceux qui sont assez en forme pour une entrevue ont à coeur de raconter leurs souvenirs.
William «Bill» Cameron, embarqué le 6 juin 1944 sur l'un des navires qui escortaient les troupes américaines vers Omaha beach, aurait lui aussi dû participer aux cérémonies d'hommage en Normandie. Il est décédé à 100 ans la semaine passée.
«C'est probablement l'une des dernières délégations que l'on va avoir avec nous (en Normandie). Le plus jeune vétéran de la délégation a 98 ans, le plus vieux 104 ans», explique à l'AFP Ginette Petitpas Taylor, ministre canadienne des Anciens combattants. Il est «très important de s'assurer que ces histoires vont continuer à être racontées», ajoute-elle.
1.300 jeunes Canadiens ont fait le voyage pour suivre les cérémonies et entendre le récit des vétérans. «Ces jeunes-là vont devenir de très bons ambassadeurs pour s'assurer que l'on pourra continuer à partager les récits de vie de ces soldats. Le ministère aussi a un rôle à jouer, celui de continuer à commémorer nos soldats. (...) Et puis les enseignants, aux différents niveaux scolaires», affirme la ministre.
«Il ne faut pas laisser le souvenir partir à la dérive. Les ravages, les morts, les combats», énumère Léopold Thibeault. Ses deux filles, qui l'accompagnent en Normandie, l'aident parfois à retrouver ses mots ou à reprendre le fil de sa mémoire.
Elles qui n'ont eu connaissance que tardivement de ses souvenirs de guerre en découvrent encore certains passages, au fil de ses témoignages. «Il n'en a jamais parlé. Et puis un jour, il y a à peu près quinze ans, il a vu à la télévision une image du Débarquement. J'étais assise à côté de lui sur le canapé et c'est la première fois qu'il m'en a vraiment parlé», explique Danielle Thibeault, 71 ans.
Avant ce mois de juin, il n'était revenu qu'une seule fois en Normandie, en 1984, pour le 40e anniversaire du Débarquement. Mais il n'a jamais arrêté de lire «des récits historiques, politiques ou philosophiques sur cette guerre qu'il essaye encore de comprendre», ajoute Renée Thibeault, 69 ans.
Comme elles, la fille de George Couture a «tout fait» pour que son père soit des cérémonies en Normandie. «Quand j'ai demandé à mon père où il voulait être ce 6 juin, il m'a répondu: Juno Beach», raconte-elle.
Lui non plus n'est pas souvent revenu en France depuis 80 ans. Il garde cependant un souvenir prégnant de la capitale. Après le Débarquement, le camp en Pologne puis la «Marche de la mort», c'est à Paris, en apercevant la Tour Eiffel, qu'il s'est enfin senti «safe».