Un des joyaux de l'architecture irakienne moderne que les djihadistes du groupe Etat islamique (EI) avaient utilisé pour jeter dans le vide ceux qu'ils accusaient d'homosexualité a commencé à être démoli à Mossoul. Cette destruction ravive le débat sur la mémoire.
Le siège de la Compagnie nationale d'assurance a été construit dans les années 1960 par le père de l'architecture irakienne Rifat Chadirji. Mais entre 2014 et 2017, quand les djihadistes de l'EI ont pris la grande ville du nord irakien, le bâtiment de sept étages est devenu un lieu de châtiment. Lundi, des ouvriers maniant des engins de chantier s'activaient à mettre bas l'édifice, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Pour Mohammed Jassem, de la municipalité, aucune réhabilitation n'était possible après les dégâts de la guerre - le Vieux Mossoul a été ravagé par une des pires batailles urbaines des Temps modernes pendant neuf mois, jusqu'à ce que les forces irakiennes réussissent à en chasser l'EI à l'été 2017.
Le bâtiment "est au bord de l'écroulement à cause des obus, des bombardements et des explosions qui l'ont touché et en grande partie détruit", assure-t-il à l'AFP. D'autres bâtiments publics pourraient également être détruits, indique-t-il, comme le siège de la Banque centrale et du gouvernorat.
Un symbole, un témoignage
Fin 2018, le violoncelliste irakien Karim Wasfi avait donné un concert devant la construction monumentale de Chadirji abritant auparavant le siège des assurances. Mais aujourd'hui, il ne reste que des gravats des quatre étages supérieurs du bâtiment aux arches extérieures inspirées des "chanachil", ces fenêtres traditionnelles des maisons patriciennes d'Irak.
Pour Abou Mahmoud, fonctionnaire de 33 ans, ce bâtiment était "l'un des symboles de la ville moderne et de l'histoire contemporaine de Mossoul". "Les autorités auraient dû le laisser en l'état comme un témoignage de l'atrocité des crimes de l'EI à Mossoul", plaide-t-il, "comme cela s'est fait dans d'autres villes du monde touchées par la guerre".
Samira Ali, une autre habitante, n'est, elle, pas du même avis. "Il faut le détruire et aménager à la place un parc ou un musée parce qu'à chaque fois que je vois ce bâtiment, je me rappelle l'époque où les djihadistes jetaient des gens depuis son toit", affirme-t-elle à l'AFP.
Un responsable local indique, lui, qu'un bâtiment public pourrait y être érigé, sans toutefois évoquer de projet de mémorial.
Quelle mémoire?
Pour Ghada Rzouki, professeur d'architecture à l'Université de Bagdad et elle-même née à Mossoul, cet immeuble représente "la période moderne" de l'Irak. Et sa destruction pose plus largement la question de la préservation du patrimoine et de la mémoire dans un pays ravagé depuis près de quarante ans par des conflits successifs.
Mi-décembre, l'Irak et l'ONU ont posé la première pierre pour la reconstruction et la restauration du minaret Al-Hadba et de la Grande mosquée Al-Nouri, deux sites emblématiques de Mossoul et de la riche histoire irakienne. Mais, "il y a beaucoup d'autres sites historiques et religieux auxquels personne ne s'intéresse alors qu'ils devraient être protégés", assure Mme Rzouki à l'AFP.
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