Un manifestant antigouvernemental à Bagdad, le 23 décembre 2019
Un enfant irakien coiffé à l'iroquoise, à Bagdad, le 26 décembre 2019
Un manifestant antigouvernemental, à Bagdad, le 23 décembre 2019
Un manifestant antigouvernemental, à Bagdad, le 23 décembre 2019
Pompadour et crêtes de coq: en Irak, la «révolution» est aussi capillaire
Un manifestant antigouvernemental à Bagdad, le 23 décembre 2019
Un enfant irakien coiffé à l'iroquoise, à Bagdad, le 26 décembre 2019
Un manifestant antigouvernemental, à Bagdad, le 23 décembre 2019
Un manifestant antigouvernemental, à Bagdad, le 23 décembre 2019
Elvis Presley en aurait rêvé, les Irakiens l'ont fait: les jeunes révoltés de la place Tahrir à Bagdad arborent d'imposantes coupes de cheveux gominés et bananes façon rockabilly, des «crêtes de coq» qui fleurissent sur les têtes et témoignent d'une libération des esprits.
«La révolution a tout changé. Maintenant, (...) nous sommes libres», clame Qassem, l'air grave sous la tente où il distribue thé et biscuits gratuits aux manifestants.
«On peut aussi se lâcher», enchaîne-t-il, un soudain sourire en coin. «Et donc je me suis inventé un nouveau style», dit le gaillard, en levant les yeux vers l'imposante banane graisseuse rectangulaire qui lui sert de coiffe.
En ce nouveau jour de mobilisation contre les politiciens «voleurs», ils sont des milliers d'étudiants et jeunes chômeurs à défiler sur l'emblématique place Tahrir.
L'enthousiasme, les slogans sont les mêmes que depuis le début de la révolte en octobre, réprimée dans le sang. Mais une chose frappe désormais le regard: les coupes débridées qu'arborent beaucoup de jeunes hommes. Bananes, crêtes, tempes rasées et mèches archi-gominées... C'est un festival de haute coiffure.
- Royaume de la brillantine -
Exclusivement masculin, le phénomène, en grande partie inspiré par les coupes fantaisistes des stars du football, est planétaire. Déjà très marqué dans le monde arabe, il est particulièrement exubérant sur Tahrir.
«Ici on appelle ça des crêtes de coq», explique un journaliste local, ce qui résume assez bien le côté à la fois viril et minet de la parure.
«La mode a commencé il y a deux ans. Elle a explosé avec la révolution de Tahrir. Les gens se sentent plus libres», avance Omar Dabbour, acteur de 23 ans et militant connu sur la place. Lui affiche une imposante chevelure naturelle à l'afro digne des «Jackson five» --petite originalité au milieu d'un océan de brillantine.
«A Tahrir, les jeunes osent, c'est devenu normal. Mais dans le reste de la ville, c'est un peu différent, plus conservateur. Il y a l'armée, les miliciens qui peuvent vous importuner aux check-points», détaille Omar. «Moi je m'en fous... Avant j'avais le cheveu bien court. J'ai laissé pousser. Pourquoi avoir peur?«.
Lunettes teintées jaunes et allure très étudiée, Karrar Riad, 20 ans, passe sa main dans ses longues mèches savamment désordonnées. Avec son bracelet de cuir noir, on dirait presque Johnny Depp. «Aujourd'hui, tout est possible, on fait ce qu'on veut ici». Ici peut-être, mais pas dans son quartier de Kazimiya --qui abrite un mausolée chiite révéré--, où il doit s'aplatir plus sagement la crinière, concède-t-il.
Beaucoup de ces fashion victimes préfèrent ainsi sagement mettre un bonnet sur la tête pour rentrer chez eux, hors du centre-ville.
- «Slicked back undercut» -
Des oreilles dégagées au rasoir, en passant par le modèle Beatles au poil collant, au casque cocker, jusqu'à la crête limite punk et destroy, l'éventail des coiffes est large.
Mais c'est incontestablement la bonne vieille banane à la Elvis qui rafle la mise. Une banane --le Pompadour, selon les spécialistes-- largement revisitée façon «Slicked back undercut», son nom moderne.
«Adoptée par les célébrités, les étudiants et les hipsters», la coupe Pompadour, du nom de la favorite du roi Louis XV, fera de vous un «homme sexy et branché», si l'on en croit les sites spécialisés.
Le Pompadour façon irakienne se décline d'une multitude de manière: en «combover» (de côté), à la classique rockabilly, en dégradé, à l'oblique, ou encore à la Mohawk...
A voir l'inflation de brushings, il faut semble-t-il la porter toujours plus volumineuse. «L'idée est de faire ce dont on a envie», résume Omar. Et sans doute aussi d'attirer le regard des jeunes filles qui arpentent Tahrir, dans une mixité surprenante pour l'Irak.
Ce phénomène capillaire «a ses racines dans les années 90, dans les salons de coiffure et de beauté masculins du faubourg populaire de Sadr City», explique Zahraa Ghandour, documentariste irakienne qui a travaillé sur le sujet.
Sous le régime de Saddam Hussein, cet immense quartier chiite du nord-est de Bagdad «était exclu et marginalisé, les habitants voulaient se singulariser, c'était pour eux un moyen de s'exprimer, de protester».
Les coiffures baroques «ont vraiment commencé il y a deux ans, toujours à Sadr City». Un vidéaste du quartier, Zouheir al-Atouani, aujourd'hui célèbre dans tout le pays, a amplifié la mode en postant sur Youtube ses tournages de mariages avec des galants aux toisons délirantes toujours plus gominées.
«Sur Tahrir, fréquenté par de nombreux jeunes venus de Sadr City, c'est un moyen de se rebeller», selon Mme Ghandour.
C'est aussi sans doute une forme de défi aux milices, toutes puissantes dans le pays, et une revanche sociale pour cette jeunesse qui se sent méprisée, mais dicte maintenant la mode.
«Ils sont particulièrement créatifs!«, sourit la documentariste. Et le phénomène est «démultiplié par les réseaux sociaux», où les sujets adorent diffuser leurs coupes toujours plus folles.
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