San FranciscoSwiss Beach Talks: un ambassadeur s'entretient avec Milena Moser
bu, ats
22.11.2020 - 10:01
De retour à San Francisco, l'auteure alémanique Milena Moser travaille à son prochain roman, qui se développe dans deux réalités. Elle est la première invitée de l'ambassadeur de Suisse en Californie pour le lancement des Swiss Beach Talks.
Cela fait plus de cinq ans que Milena Moser a abandonné Aarau pour s'installer à Santa Fee, au Nouveau Mexique. Son pari: baisser ses exigences matérielles pour disposer de tout son temps pour écrire.
Milena Moser, 57 ans, est l'une des auteures alémaniques les plus lues. Connue depuis le début des années 90, son premier livre «L'Île des femmes de ménage» s'est vendu à plus de 250'000 exemplaires. Depuis, elle a écrit une vingtaine de romans, dont sept ont été traduits en français.
Suisses de Californie
Benedikt Wechsler accueille sa première invitée dans les locaux de la résidence du Consulat général de Suisse pour le lancement des Swiss Beach Talks (Discussions helvétiques à la plage). Il s'agit d'une série de rencontres, dont les vidéos sont diffusées sur les réseaux sociaux. Le diplomate y donne la parole à quelques-uns des 30'000 Suisses, installés en Californie.
Devant une fenêtre de la résidence du Consulat qui donne sur China Beach, Milena Moser, les cheveux blonds frisés, une veste en velours, dont la couleur oscille entre bouton d'or et moutarde, se prête au jeu des questions-réponses. L'écrivaine dit avoir trouvé l'endroit idéal pour écrire, même si elle n'a jamais voulu que son activité créatrice dépende d'un lieu.
Milena Moser a quitté le Nouveau Mexique pour San Francisco où elle a rejoint l'artiste mexicain Victor-Mario Zaballa, son mari depuis mai dernier. L'Alémanique écrit dans une cabane de jardin aux murs jaunes, un endroit «sans internet» réservé à elle seule et à son écriture.
«En Suisse, j'écrivais dans le S-Bahn, même pendant un trajet de 20 minutes, dans une salle d'attente, n'importe où. Je me suis entraînée à ne pas dépendre de la place parfaite pour écrire. Mais maintenant que je l'ai, c'est difficile de ne pas s'y habituer», remarque-t-elle.
Son écriture a changé
Son écriture a beaucoup changé depuis qu'elle a déménagé à San Francisco, parce que «je suis beaucoup plus libre», loin des multiples engagements qu'elle connaît en Suisse.
«Du coup, cela ouvre beaucoup d'espace pour l'écriture. J'ai pu m'attaquer à de nouveaux genres dont je rêvais depuis longtemps comme écrire un roman multigénérationnel ou multidimensionnel. Je peux tenter l'aventure et voir ce qui se passe.»
L'un de ses derniers romans, «Land der Söhne» (Le pays des fils, 2018), qui parle de lutte pour la liberté, d'identité et d'Amérique, se déroule sur trois générations. Il est considéré par plusieurs critiques alémaniques comme son meilleur roman jusqu'ici. Son prochain livre «L/N « est une histoire de réalité parallèle, une vie racontée selon deux versions possibles.
«Je n'ai jamais voulu faire autre chose»
Issue d'une famille d'écrivains – son père et un de ses frères écrivent tandis que sa mère psychothérapeute a publié plus tard: «pas pendant mon enfance» -, Milena Moser a su qu'elle voulait aussi écrire dès l'âge de 8 ans. Elle a vu passer beaucoup d'écrivains dans la maison de son enfance, mais jamais de «femme écrivain». Du coup, ce n'était pas vraiment une option.
C'est plutôt la lecture qui l'a poussée vers l'écriture, «les deux sont intimement liés». Malade ou accidentée, elle a passé beaucoup de temps à l'hôpital, d'où lire et écrire lui permettaient de s'échapper.
«J'ai toujours eu beaucoup d'histoires dans ma tête qu'il me fallait accueillir, écrire, faire venir au monde. Il s'agissait plus de cela que d'être un écrivain ou de se soucier de ce que les autres pensaient de mes écrits. Je n'ai jamais voulu faire autre chose.»
Max Frisch était un ami de son père. «Cela m'a pris longtemps pour l'aimer comme écrivain, l'école m'en a toujours détourné».
Plonger dans leurs univers alternatifs
Une de ses amies proches, et une des seules qui écrit, Katharina Faber, 68 ans, est très importante pour Milena Moser. «Elle a écrit parmi les plus beaux livres que j'ai jamais lus. Si je devais n'en garder qu'un seul jusqu'à la fin de mes jours, ce serait 'Fremde Signale'». Katharina Faber, médecin, a attendu d'avoir élevé ses deux enfants avant de se mettre à publier dès l'âge de 50 ans.
«C'est la seule personne avec qui je peux parler du fait d'écrire. Nous évoquons nos personnages, comme s'ils étaient des amis faisant partie de notre vie. Les deux femmes plongent ensemble dans leurs univers alternatifs. «C'est tellement difficile de partager cela et c'est si important. Pour moi, c'est cela l'inspiration.»
Milena Moser ne connaît pas les pannes créatrices; mère jeune, elle a toujours cherché du temps pour écrire. «J'ai connu beaucoup de crises dans ma vie, croyez-moi», s'amuse-t-elle tout en faisant le geste de montagnes russes avec une main. «Ecrire a toujours été comme mon meilleur ami. C'est l'une des choses stables dans ma vie. Je n'ai jamais arrêté d'écrire, ni été à court de sujets, quoi qu'il arrive.»
Oublier d'où l'on vient
Un autre élément qui lui plaît à San Francisco, c'est qu'"ici il n'est pas nécessaire d'indiquer en permanence d'où tu viens. Tu es ici maintenant et tu fais ce que tu as à y faire: j'ai trouvé cela libérateur. Qui tu es, ce que tu fais, ce n'est pas complètement défini par d'où tu viens.»
Indépendante de toute aide étatique, elle est fière de se financer elle-même par ses livres ou par d'autres activités. Elle considère toutefois qu'il est important que l'Etat soutienne les milieux culturels. «Cela fait une différence: cela indique que l'art est important.»
D'abord des lettres de refus
Pourtant Milena Moser a connu des débuts difficiles. Personne ne voulait la publier. A 21 ans, elle est partie vivre deux ans à Paris. Et pendant 6 ans, elle va recevoir des lettres de refus.
«Je ne trouvais pas d'éditeur». Avec des amis, elle crée une maison d'édition pour publier «L'île des femmes de ménage», qui va lancer sa carrière. Cette conteuse tragi-comique est aujourd'hui traduite dans une dizaine de langues.
Mal reçue à ses débuts en Suisse alémanique, elle s'est sentie mieux comprise dans le monde francophone ou à l'étranger. «Ni les lecteurs ni les critiques francophones ne dressent de barrière entre les littératures dites sérieuses ou divertissantes. Je n’ai jamais compris cette distinction et je me sens mieux comprise dans un environnement littéraire qui ne la fait pas.»
Milena Moser a souvent dit que ses personnages vivaient les aventures qu'elle ne s'autorisait pas. Mais l'Alémanique n'est pas vraiment en reste: après une vingtaine de livres, deux ans à Paris, deux séjours aux Etats-Unis pour un total de bientôt quinze ans, trois maris et deux enfants, on pourrait considérer qu'elle est passée à l’action. «Oh oui, absolument. J’ai suivi mes personnages, on pourrait dire...», a-t-elle répondu à Keystone-ATS.