«Trop beau pour être vrai» Un journaliste du «Spiegel» falsifie des articles, des médias suisses touchés

Philipp Dahm

20.12.2018

La maison d'édition du «Spiegel»: les Hambourgeois ont découvert un peu tard les combines de Claas Relotius.
La maison d'édition du «Spiegel»: les Hambourgeois ont découvert un peu tard les combines de Claas Relotius.
Keystone

Démasqué: un auteur du «Spiegel» primé à de multiples reprises a tout simplement inventé plusieurs de ses articles. Claas Relotius, 33 ans, a également vendu ses histoires à des publications suisses.

Cela fait onze ans que Juan Moreno travaille pour le «Spiegel» lorsque le magazine d'information hambourgeois le charge de cette mission: l'homme de 46 ans doit écrire avec son collègue Claas Relotius un article sur une milice américaine qui patrouille de manière totalement autonome aux abords de la frontière.

Publiée à la mi-novembre, l'histoire rencontre un vif intérêt. Cependant, Juan Moreno est rapidement pris d'un doute. Ce que son collègue a écrit dans l'article «Jaegers Grenze» ressemble étrangement à un autre reportage paru deux ans plus tôt. Il parle alors de ses soupçons à ses supérieurs, qui refusent dans un premier temps de le croire.

Un journaliste primé

Pas étonnant, car Claas Relotius a déjà remporté plusieurs prix et est considéré comme un journaliste de grand talent. Il vient justement de recevoir le «Deutsche Reporterpreis», qu'il s'est déjà vu décerner à quatre reprises. Il a également sept autres récompenses à son actif – dont le titre de «Journalist of the Year» de «CNN». En 2017, «Forbes» l'a même intégré à la liste «30 under 30 – Europe: Media».

L'article du «Spiegel» en question: le magazine met aujourd'hui l'accent sur ses soupçons de manipulation.
L'article du «Spiegel» en question: le magazine met aujourd'hui l'accent sur ses soupçons de manipulation.
Capture d'écran Spiegel.de

En bref: alors qu'il n'a que 33 ans, Claas Relotius est déjà une star du journalisme. C'est également pour cette raison que les doutes de Juan Moreno ne sont pas entendus. Cependant, le journaliste ne lâche pas l'affaire et continue ses recherches par ses propres moyens et à ses propres frais. Le 12 décembre, une Américaine responsable des contacts de la milice avec la presse finit par se manifester. Elle lui demande alors: comment pouvez-vous écrire sur nous alors que vous ne nous avez même pas parlé?

Il travaillait également pour des médias suisses

Le château de cartes construit par Claas Relotius s'écroule. Le lendemain, il avouera que ses histoires sont en partie inventées. Ces aveux sont un choc pour le «Spiegel», qui révèle lui-même la fraude. «Le fait que Claas Relotius ait réussi à passer à travers les mailles du contrôle qualité nous attriste beaucoup. Cette affaire restera à jamais une page sombre dans l'histoire de notre journal, créé il y a plus de 70 ans», écrivent les Hambourgeois, faisant preuve d'autocritique.

Cependant, Claas Relotius n'a pas écrit que pour des médias allemands; il a également vendu ses textes en Suisse. À partir de 2012, certains de ses articles se retrouveront dans le «NZZ am Sonntag» ainsi que dans le «NZZ Folio». Mais également dans le «Weltwoche», ce qui ne pose toutefois aucun problème à son rédacteur en chef.

«Monsieur Relotius était un journaliste libre et ne travaille plus pour notre journal depuis longtemps», confirme-t-il à la demande de Bluewin. L'homme politique tient toutefois à préciser: «Il bénéficie de la présomption d'innocence. En ce qui me concerne, je n'ai rien à redire sur les articles qu'il a écrit pour le "Weltwoche".»

«Trop beau pour être vrai»

Le «NZZ am Sonntag», en revanche, se montre plus prudent: «Six articles écrits par M. Relotius sont parus dans les rubriques Société et Sciences et un autre a même été publié dans le NZZ Folio», confie Seta Thakur, responsable de la communication d'entreprise auprès du groupe NZZ, à Bluewin. «Nous allons tous les vérifier.» Luzi Bernet, rédacteur en chef du «NZZ am Sonntag», tient le même discours sur Twitter.

Le journaliste lui-même dit ne pas avoir agi pour la gloire – il avait simplement trop peur d'échouer. «Plus je réussissais, plus ma peur de l'échec s'intensifiait», peut-on lire dans le «Spiegel», qui reprend les propos de son ancien collaborateur – l'homme a désormais démissionné. «Si vous lisez sans vous poser de questions, vous ne remarquerez rien. Si vous cherchez l'erreur, vous en trouverez partout.»

Le fait que tout s'accorde aussi bien aurait également pu éveiller les soupçons. Le «Spiegel» donne lui-même un exemple particulièrement parlant: «[Dans l'article] dans les couloirs de la clinique spécialisée dans les avortements, on peut entendre un lecteur CD qui rejoue apparemment sans cesse la même chanson de Tom Petty, «I Won't Back Down». Le texte de la chanson se prête si bien à l'histoire qu'avec un peu de recul, on se dit que c'est trop beau pour être vrai.»

Garder l'église au milieu du village

Le magazine d'information dispose pourtant d'un service qui vérifie les faits contenus dans les articles. Cependant, le diable se cache dans les détails, comme le montre l'exemple d'un reportage paru en 2014 et traitant d'une maison de correction pour adolescents aux États-Unis. Cette dernière se trouve à Marianna, une ville située «à un bonne heure de route à l'ouest de Tallahassee», en Floride.

Claas Relotius n'a rien d'un cas isolé: en 2000, l'auteur suisse Tom Kummer a lui aussi créé le scandale lorsqu'on a découvert qu'il avait publié des interviews inventées dans le «SZ-Magazin». Aujourd'hui, Tom Kummer vit à nouveau à Berne et a récemment publié un roman intitulé «Nina & Tom».
Claas Relotius n'a rien d'un cas isolé: en 2000, l'auteur suisse Tom Kummer a lui aussi créé le scandale lorsqu'on a découvert qu'il avait publié des interviews inventées dans le «SZ-Magazin». Aujourd'hui, Tom Kummer vit à nouveau à Berne et a récemment publié un roman intitulé «Nina & Tom».
Keystone

Le documentaliste du «Spiegel» a pourtant vérifié ce fait, assurent les Hambourgeois. En outre, l'auteur écrit que la petite ville compte «trois églises, deux clubs de chasse et une rue principale bordée de bâtiments délabrés qui s'étend sur plusieurs kilomètres». Alors que les Allemands auraient également pu contrôler ces informations grâce à Internet, ils n'ont pas jugé nécessaire de le faire.

Depuis 2011, près de 60 textes écrits par Claas Relotius ont été publiés dans le «Spiegel». En l'état actuel des choses, on considère qu'au moins 14 d'entre eux ont été manipulés. La direction du journal compte désormais nommer une commission d'experts internes et externes chargés de vérifier tout ce qui pourrait indiquer qu’il s’agit de faux articles.

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