USA 2020 Donald Trump, l'Amérique et moi d'abord

Jérôme Cartillier, AFP

8.11.2020

«Le show c'est 'Trump' et il se joue partout à guichets fermés. Je m'amuse en le faisant et je continuerai à m'amuser». La phrase, extraite d'un entretien que le magnat de l'immobilier avait accordé à Playboy en 1990, pourrait avoir été prononcée hier. Et s'appliquer à chacune de ses journées à la tête la première puissance mondiale.
«Le show c'est 'Trump' et il se joue partout à guichets fermés. Je m'amuse en le faisant et je continuerai à m'amuser». La phrase, extraite d'un entretien que le magnat de l'immobilier avait accordé à Playboy en 1990, pourrait avoir été prononcée hier. Et s'appliquer à chacune de ses journées à la tête la première puissance mondiale.
Alex Brandon/AP/dpa/archives

«Certains pensent que je suis un véritable génie». Transgressions, provocations et tweets moqueurs à l'appui, Donald Trump a écrit un chapitre en tous points extraordinaire de l'histoire des Etats-Unis.

Elu en s'appuyant sur les colères et les fractures de l'Amérique, il les a alimentées sans relâche. Mais restera - coup rude pour un homme avide de comparaisons et d'audiences - le président d'un seul mandat. Pendant quatre ans, les Américains ont assisté, enthousiastes, médusés ou effrayés, au spectacle d'un président ne s'imposant aucune contrainte, s'affranchissant de toutes les normes.

A la fois symptôme et démultiplicateur des peurs de son pays, il a su parler à une Amérique qui se sentait "oubliée" mais a systématiquement refusé d'endosser les habits de rassembleur.

Pandémie

Plus que toute autre séquence dans sa présidence, la pandémie de Covid-19 - qui a fait plus de 236'000 morts aux Etats-Unis - a mis en lumière cette posture. Le président de 74 ans a ironisé sur le port du masque, y voyant une manifestation du «politiquement correct» qu'il brocarde en toute occasion.

Il a attaqué Anthony Fauci, immunologue le plus respecté du pays, qui a, avant lui, travaillé avec cinq autres présidents américains et qui fut, inlassablement, la voix de la raison scientifique. Il a minimisé la menace sanitaire en se présentant en "Superman" après avoir lui-même été testé positif.

Sur la même ligne, il ne semble pas prêt à accepter sa défaite, évoquant des «fraudes» sans fournir de preuves, au risque d'abîmer la confiance des électeurs dans la démocratie américaine.

«Saturé de scandales»

La dérive autoritaire ou l'effondrement économique annoncés par certains le 8 novembre 2016, jour de son élection coup de tonnerre, n'ont pas eu lieu. Les institutions ont démontré leur robustesse et nombre d'indicateurs - chiffres de l'emploi en tête - ont longtemps été au beau fixe avant l'impact ravageur du coronavirus.

Mais dans un mandat saturé de scandales, qui contraste singulièrement avec ceux de Barack Obama, le septuagénaire a abîmé la fonction, attaqué juges, élus et fonctionnaires, et alimenté les tensions raciales.

Au-delà de ses frontières, il a rudoyé les alliés des Etats-Unis, fait preuve d'une troublante fascination pour les dirigeants autoritaires, de Vladimir Poutine à Kim Jong Un, et donné un brutal coup de frein à la mobilisation sur le climat.

«Je m'amuse»

Joueur, hâbleur, visage triomphant d'un populisme décomplexé, celui qui, selon la formule assassine de l'écrivain Philip Roth, utilise «un vocabulaire de 77 mots», a fait perdre le sens de la mesure à ses admirateurs comme à ses détracteurs. Il a aussi subi l'infamie d'une mise en accusation dans une procédure de destitution au Congrès qui restera comme une tache indélébile.

«Le show c'est 'Trump' et il se joue partout à guichets fermés. Je m'amuse en le faisant et je continuerai à m'amuser». La phrase, extraite d'un entretien que le magnat de l'immobilier avait accordé à Playboy en 1990, pourrait avoir été prononcée hier. Et s'appliquer à chacune de ses journées à la tête la première puissance mondiale.

Doté d'un vrai talent de tribun, le milliardaire a réussi la prouesse de se positionner en porte-parole de l'Amérique des "oubliés" et des «pitoyables», selon l'expression méprisante de Hillary Clinton.

Démontrant un réel flair politique, il a su capter les angoisses d'une Amérique - majoritairement blanche, plutôt âgée - qui se sentait dédaignée par les "élites" de la côte Est et les stars d'Hollywood sur la côte Ouest.

«Pinocchio sans fond»

Celui qui s'était fait une solide place dans les foyers américains grâce à l'émission de télé-réalité "The Apprentice" a appliqué sans relâche une règle simple: occuper l'espace, à n'importe quel prix.

Mépris de la science, approximations, contre-vérités: ses déclarations ont contraint l'équipe de «fact-checkers» du Washington Post à créer une nouvelle catégorie: «Le Pinocchio sans fond», pour les affirmations erronées ou trompeuses répétées plus de 20 fois.

Depuis la Maison Blanche, l'ancien homme d'affaires a, en toutes occasions, creusé le fossé entre deux Amériques, la rouge (républicaine) et la bleue (démocrate). Loin d'en appeler comme Abraham Lincoln en 1861 à «la part de lumière en chacun de nous», il a inlassablement joué sur les peurs.

En agitant, dès l'annonce de sa candidature en 2015, le spectre des migrants clandestins «violeurs». Et se posant, durant la campagne de 2020, comme seul garant de «la loi et l'ordre» face à une «gauche radicale» déterminée, à l'en croire, à faire des Etats-Unis «un Venezuela à grande échelle».

Dans un pays pourtant friand de moments - même éphémères - d'unité nationale, il n'a que très rarement su ou voulu trouver le ton pour panser les plaies, même après une catastrophe naturelle ou une fusillade sanglante.

Avide téléspectateur de Fox News, il s'est servi de ses violentes attaques contre les médias - qualifiés de «malhonnêtes», «corrompus» et «ennemis du peuple» - pour braquer encore un peu plus une partie du pays contre l'autre.

Fait remarquable: il est le seul président de l'Histoire dont la cote de popularité n'a jamais atteint la barre des 50% au cours de son mandat.

Entreprise de démolition

Ses opposants comme ses soutiens sont d'accord sur un point: Donald Trump a de fait tenu une partie de ses promesses de campagne. Comme il l'avait annoncé, il a jeté aux orties nombre de traités ou pactes âprement négociés, au premier rang desquels l'accord de Paris sur le climat. Mais cette fidélité aux engagements de campagne s'est d'abord faite dans la déconstruction et la démolition.

Sur ses initiatives, le bilan est plus maigre. C'est frappant sur le dossier nucléaire iranien: il a déchiré l'accord durement négocié par son prédécesseur, a fait monter la pression sur Téhéran jusqu'à l'élimination du puissant général iranien Qassem Soleimani, mais n'a jamais présenté de véritable stratégie.

Le grand plan de paix au Proche-Orient, confié à Jared Kushner, gendre et conseiller paré de toutes les qualités, n'a jamais abouti. Il peut cependant revendiquer d'avoir fait bouger les lignes dans la région en parrainant la normalisation des relations entre Israël et trois pays arabes: les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan.

La mort, en octobre 2019, du chef du groupe Etat islamique (EI) Abou Bakr al-Baghdadi lors d'une opération américaine en Syrie, restera, à son actif, incontestablement comme un moment fort de sa présidence.

Sa plus grande audace, son plus grand coup, n'a pas eu le retour sur investissement escompté. Les deux sommets avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un, les embrassades et la complicité affichée lors d'une visite historique sur la zone démilitarisée, l'«alchimie», les lettres «magnifiques»: l'effort fut vain. Le régime n'a pas bougé sur la question centrale de la dénucléarisation.

Dans la géopolitique complexe et mouvante du XXIe siècle, Donald Trump a personnellement pris pour cible Justin Trudeau, Emmanuel Macron, Angela Merkel et Theresa May.

La mise en garde la plus cinglante n'est pas venue de ses adversaires politiques, mais du chef du Pentagone Jim Mattis. Dans sa lettre de démission, ce général rappelait, à l'adresse du président des Etats-Unis, une règle simple de la diplomatie: «Traiter les alliés avec respect».

«Nationalisme bancal»

Dans un scénario politique inédit qu'aucun conservateur n'avait prédit, Donald Trump a, fort de sa capacité à électriser sa base électorale, mis à sa botte le parti républicain, qui l'avait au départ sous-estimé voire ignoré.

Ponctuellement, des élus du «Grand Old Party» ont exprimé leur désaccord. Sur son attitude extraordinairement conciliante vis-à-vis de Vladimir Poutine à Helsinki, sa réaction après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi par des agents saoudiens, ou encore ses propos sur "des gens très bien" des deux côtés après des affrontements entre anti-racistes et néo-nazis à Charlottesville.

Mais, sur la durée, ils ont fait bloc. Au grand dam de quelques voix dissidentes, comme celle de l'ancien sénateur John McCain, qui, avant sa mort en août 2018, avait mis en garde contre la tentation d'un «nationalisme bancal et fallacieux».

Donald Trump aura toujours fonctionné selon un principe simple: pour ou contre lui, sans nuances. L'ex-patron du FBI, James Comey, brutalement limogé, a évoqué dans ses mémoires un président qui soumet son entourage à un code de loyauté lui rappelant l'attitude des chefs mafieux observée au début de sa carrière de procureur.

Scandales en cascade

Né dans le Queens, à New York, éduqué dans une école militaire, Donald J. Trump a rejoint l'entreprise familiale après des études de commerce. Grâce a une exemption médicale qui a suscité beaucoup d'interrogations, il a échappé à la guerre du Vietnam.

Contrairement à la légende qu'il s'est construite, il n'a rien du "self-made man". Après la Seconde Guerre mondiale, son père, Fred Trump, descendant d'un immigré allemand, avait déjà bâti un empire à New York en construisant des immeubles pour la classe moyenne dans les quartiers populaires.

Donald Trump a repris les rênes de l'entreprise dans les années 70 avec un solide coup de pouce financier de son père, "un tout petit prêt" d'un million de dollars, dira-t-il durant la campagne de 2016.

S'il a toujours vanté ses succès en affaires, la Trump Organization, société familiale non cotée installée dans la Trump Tower, sur la 5e Avenue, a connu des hauts et des bas.

Et son réseau complexe de propriétés immobilières et de parcours de golf aux Etats-Unis et à l'étranger reste entouré d'un épais mystère: Donald Trump est le seul président de l'ère moderne à avoir refusé de publier ses déclarations d'impôts.

Lorsque le New York Times a révélé, à l'été 2020, qu'il n'avait payé que 750 dollars d'impôt fédéral sur le revenu en 2016 et que nombre des activités avaient accumulé les pertes, son image d'entrepreneur à succès en a encore pris un coup.

Père de cinq enfants nés de trois femmes différentes, dix fois grand-père, Donald Trump n'a eu de cesse de louer en public Melania, l'ancienne mannequin devenue «magnifique Première dame».

Mais les révélations sur ses liaisons extra-conjugales présumées, en particulier avec l'actrice de films X Stormy Daniels, et les accusations d'agressions sexuelles le visant cadrent mal avec son éloge des valeurs familiales répété mot pour mot à chaque rencontre avec les chrétiens évangéliques.

Fille adorée dotée du titre de «conseillère» à la Maison Blanche, Ivanka fut très écoutée. «Elle m'appelait et elle disait: 'Papa! Tu ne comprends pas! Tu dois faire ça, tu dois le faire!'», racontait-il fin 2018 lors de la signature d'une loi de réforme sur la justice.

En s'appuyant sur un cercle familial resserré, mais aussi sur un «instinct» toujours mis en avant, Donald Trump, dont la chute a été mille fois annoncée, aura survécu à tous les scandales. Comme si, à force d'accumulation, ils n'avaient plus prise sur lui.

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