Guerres de l’eau «Il y aura uniquement des perdants, à savoir l’humanité»

Gregoire Galley

30.3.2023

L’hiver 2022/2023 s’est montré particulièrement avare en précipitations. Dans ces conditions, des restrictions d’eau pourraient être instaurées cet été en Suisse. Secrétaire de la Société suisse d’hydrogéologie et hydrogéologue chez pbplan AG à Planfayon (FR), Raphaël Kropf fait le point sur la situation.

Des restrictions d’eau en Suisse ? Il faut s’y attendre…

Des restrictions d’eau en Suisse ? Il faut s’y attendre…

L’hiver 2022/2023 s’est montré particulièrement avare en précipitations. Dans ces conditions, des restrictions d’eau pourraient être instaurées cet été en Suisse.

30.03.2023

Gregoire Galley

30.3.2023

Les précipitations de ces dernières semaines peuvent-elles combler le déficit hydrique des nappes phréatiques sur le Plateau ?

«Non, ces précipitations ne sont pas suffisantes. Il manque des précipitations depuis décembre dernier. Ce déficit hydrique est toutefois moins marqué en Romandie qu’à l’Est de la Suisse. Un autre élément important à prendre en compte est le peu de neige qu’il y a eu cet hiver. Cette situation pourrait effectivement créer des restrictions».

Combien de jours de pluie faudrait-il pour retrouver une situation normale ?

«Le manque d’eau varie grandement selon les régions. Cela dépend aussi beaucoup de l’intensité des précipitations. En effet, si ces dernières sont très intenses, il y a beaucoup de ruissellement et donc peu d’infiltration dans le sous-sol, empêchant ainsi les nappes phréatiques de se recharger».

«En outre, avec l’augmentation des températures au printemps, il y a davantage d’évaporation. L’eau est également absorbée par les plantes pour leur croissance. Pour donner un chiffre, il faudrait une dizaine de jours de pluie pour détendre la situation. Toutefois, il est important de préciser que ces précipitations devront être peu intenses mais continues afin de permettre à l’eau de s’infiltrer dans les sols».

«On estime que l’alimentation des eaux souterraines va diminuer à l’avenir»

Raphaël Kropf

Hydrogéologue

Peut-on craindre des restrictions d’eau pour cet été ?

«Il faut savoir que l’hiver est la meilleure saison pour alimenter les nappes phréatiques puisque l’évaporation est plus faible en raison des températures froides et que les végétaux absorbent moins d’eau car ils ne croissent pas. Malgré les faibles précipitations, nos rivières ne sont pas asséchées car elles sont alimentées par les eaux souterraines. Si ces réservoirs ne sont pas remplis en hiver, cela a bien sûr une influence négative sur le débit des rivières durant la belle saison. De cette manière, il est possible que des restrictions soient mises en vigueur en été. Il en va de même pour l’eau potable».

Le réchauffement climatique va-t-il amplifier les sécheresses dans les années à venir ?

«Selon les modèles actuels de prévision, la quantité d’eau de pluie ne va pas changer durant l’année. Cependant, il y aura probablement plus de pluie en hiver et davantage de périodes sèches en été. Cela ne sera toutefois pas vraiment favorable puisque ces précipitations seront, pour la plupart, très intenses. Cela n’est pas idéal pour recharger les nappes phréatiques. De ce fait, on estime que l’alimentation des eaux souterraines va diminuer à l’avenir».

Comment la Suisse pourrait-elle faire des réserves d’eau ?

«Tout d’abord, il faut savoir que les nappes phréatiques facilement et durablement exploitables, y compris les sources, sont aujourd’hui plus ou moins utilisées. Cela signifie qu’il n’existe plus de grandes réserves d’eau encore inconnues que l’on pourrait encore exploiter. Il est donc important de protéger les sources d’eau que l’on utilise actuellement. Il faut aussi souligner que la pression exercée par les constructions sur les nappes phréatiques a énormément augmenté au cours des dernières décennies. Cela rend leur protection plus difficile».

«En outre, la pollution par des substances persistantes, c’est-à-dire des substances qui ne se dégradent pas suffisamment, constitue aussi une menace pour ce bien si précieux. Cet aspect pose problème car les nappes phréatiques ne se régénèrent ou ne se renouvellent que lentement et nous n’avons en fait aucune possibilité d’intervenir avec des moyens techniques pour purifier les nappes dans le sous-sol. Les nappes phréatiques peuvent ainsi devenir inutilisables pour l’eau potable».

«Une bonne protection des eaux souterraines est donc également un élément important de la résilience face aux périodes de sécheresse. La meilleure façon de se préparer aux périodes de sécheresse est donc de gérer cette ressource avec précaution dans la mesure où les possibilités de constituer artificiellement des réserves sont limitées».

«Il ne faut rien dramatiser car la situation est bonne dans notre pays»

Raphaël Kropf

hydrogéologue

Le manque d’eau potable pourrait aussi être une menace dans notre pays ?

«Il est nécessaire d’accorder à la protection des eaux souterraines une plus grande importance par rapport à ce qui a été fait jusqu’à maintenant afin d’éviter un manque d’eau potable en période de sécheresse. D’autre part, les lacs et les rivières pourraient être exploités afin d’avoir davantage d’eau potable».

«Cependant, il faut les traiter et cela demande l’utilisation de beaucoup d’énergie, un point qui n’est pas à sous-estimer de nos jours. La question est de savoir si l’on peut se contenter des eaux souterraines pour avoir de l’eau potable ou devra-t-on davantage nous tourner vers les lacs et les rivières ? Je ne pense pas toutefois que la pénurie d’eau potable soit une menace pour notre pays».

Avec ses rivières et ses lacs, la Suisse est-elle finalement mieux lotie que ses voisins ?

«Il ne faut rien dramatiser car la situation est bonne dans notre pays. J’ai l’habitude de dire que la Suisse a reçu un cadeau avec ses ressources en eau d’une qualité impeccable. Il est donc de notre devoir d’en prendre soin ! Par rapport à nos pays voisins, je ne considère pas la Suisse comme un pays privilégié. J’estime qu’ils se portent également bien en matière de ressources en eau ou connaissent même une situation comparable. Mais dans d’autres régions du monde, la situation est bien différente. La qualité de l’eau dessalée, par exemple, ne peut pas rivaliser avec la nôtre».

Ailleurs dans le monde, pourrait-on voir éclater des conflits en raison du manque d’eau ?

«Je suis un peu tiraillé à ce sujet. Quand j’ai vu à quelle vitesse un vaccin a divisé des amis ou des familles de manière si violente, je ne peux que répondre par l’affirmative à cette question. Trouver une solution durable à un problème d’eau par la guerre me semble absurde. Dans le contexte de l’eau, nous sommes tous liés d’une manière ou d’une autre et qu’une union plutôt qu’une opposition ne peut être que bénéfique. Si nous n’y parvenons pas dans ce domaine, il n’y aura pas de gagnants ou de perdants, mais uniquement des perdants, à savoir l’humanité. Comme vous le voyez, la philosophie n’est pas loin lorsqu’il s’agit de parler de l’eau».