Rédemption au front«Je dois survivre» - Des condamnés ukrainiens prennent les armes
ATS
12.7.2024 - 07:51
Artour Katchourovski est l'un de ces milliers de prisonniers ukrainiens qui ont rejoint l'armée pour combattre la Russie. La récompense espérée est de rentrer chez lui libre et en héros, lorsque la guerre sera finie.
12.07.2024, 07:51
ATS
Cet homme de 27 ans, condamné et emprisonné pour vol, doit bénéficier d'une libération conditionnelle pour rejoindre le front. «Peut-être que la vie là-bas me changera, juste un peu, pour le meilleur», déclare-t-il à l'AFP de la prison de Boryspil, près de Kiev, où il attend son ordre de déploiement.
Si la Russie a recruté des dizaines de milliers de repris de justice pour son invasion, l'Ukraine vient seulement de créer le mécanisme légal permettant d'envoyer sur le champ de bataille des condamnés en échange d'une amnistie.
En manque d'effectifs, alors qu'elle est dans sa troisième année de guerre face à un ennemi plus nombreux et mieux armé, l'Ukraine multiplie les efforts pour regarnir les rangs de ses forces. Selon le ministère ukrainien de la justice, plus de 5000 détenus ont demandé à s'engager depuis le vote en mai de la nouvelle loi qui le leur permet.
Les autorités ukrainiennes rejettent cependant le recours massif aux repris de justice pour combattre, comme l'a fait la Russie avec le groupe paramilitaire Wagner, qui a envoyé foule d'hommes à la mort pour conquérir en mai 2023 la cité de Bakhmout, dans l'est de l'Ukraine. Kiev n'apprécie d'ailleurs pas la comparaison, mais certains prisonniers la font ouvertement.
«Des prisonniers ont pris Bakhmout. Malheureusement, ce ne sont pas des gars de notre camp», glisse Artour Katchourovski en souriant.
Si les prisonniers russes étaient remis en liberté s'ils survivaient à six mois de combats au front, les choses sont très différentes du côté ukrainien. Les volontaires n'y seront libérés qu'à la fin de la guerre, mais ils ont le droit de demander à retourner en prison ou de retirer leur candidature avant d'être déployés.
Oleg Omeltchouk, 31 ans, est l'un de ceux qui ont changé d'avis après avoir déposé une demande. «Vous êtes un condamné avant tout [...] C'est comme cela ici et c'est comme cela que ce sera là-bas», dit-il. Il n'a pas été sanctionné. Il a juste été la cible de quelques plaisanteries de la part de codétenus qui ont, eux, toujours l'intention de s'enrôler.
Volodymyr Baranditch a déjà servi dans l'armée, mais a été forcé de quitter son unité après une condamnation pour trafic de drogue dans une affaire ayant précédé son enrôlement. Maintenant, il veut retourner au front: «On m'a offert des vacances que je n'avais pas demandées», ironise-t-il.
En attendant son ordre de mission, M. Baranditch partage son expérience avec d'autres détenus. «Les yeux des gens brûlent d'impatience», dit-il.
Pour la vice-ministre de la justice, Olena Vyssotska, combattre pour sauver son pays est une question de rédemption. «Il n'y a pas meilleur moyen pour quelqu'un d'être réhabilité aux yeux de la société que d'aider les forces armées», insiste la responsable.
Le commandant adjoint du bataillon de prisonniers de la 92e brigade d'assaut, Roman Kyrytchenko, fait pour sa part l'éloge de ses hommes qui vont «accomplir des tâches très spécialisées et précises dans les zones les plus dangereuses».
Mykola Soukhotine, 26 ans, doit bientôt être envoyé sur le front dans cette unité, lui qui purgeait 10 ans de prison pour meurtre. «Nous avons déjà été dans notre propre école de la force mentale et de la motivation. Nous sommes déjà endurcis», proclame le jeune homme.
Vitali Kononenko, qui a déjà été sur le front dans la région orientale de Donetsk après 20 jours d'entraînement, n'est pas d'accord. «Nous ne sommes pas des dieux de la guerre. Nous sommes juste des gens normaux qui ont trébuché», assène-t-il.
S'agissant des conditions dans l'armée pour ces recrues si particulières, Oleg Tsvily, de l'ONG Protection pour les prisonniers d'Ukraine, estime que, globalement, ils ne sont pas moins bien traités que les soldats ordinaires.
«Certains commandants traitent mal les mobilisés normaux, pourquoi serait-ce différent pour les prisonniers?», a-t-il déclaré. Il regrette cependant que les détenus déployés sur le front n'aient pas droit aux permissions.
M. Kononenko dit avoir été démoralisé d'apprendre qu'il ne verrait pas sa famille avant d'y partir. Pour autant, il ne se plaint pas, car il assure vouloir se racheter. «Je dois survivre. Je dois transformer ma vie, agir de manière à ce que les gens qui me pointent du doigt en disant 'condamné' puissent voir que j'accomplis quelque chose dans l'armée», explique-t-il.