Confronté à une grave crise politique, le président français espère temporiser pendant les Jeux olympiques, voire retrouver un peu d'oxygène s'ils sont une réussite. Mais s'il appelle à créer une coalition comme ailleurs en Europe, Emmanuel Macron semble bien décidé à rester le maître du jeu, selon des observateurs.
Depuis la défaite de son camp le 7 juillet au terme d'élections législatives qui n'ont toutefois dégagé aucune majorité claire à l'Assemblée nationale - chambre basse du parlement français -, le chef de l'Etat se pose en garant des institutions.
Dans une lettre aux Français, puis à la télévision, il a appelé à des «compromis» entre les forces qui ont composé le «front républicain» contre l'extrême droite - cette dernière est arrivée en troisième position, derrière une alliance de gauche puis le camp présidentiel, aux législatives -, pour «bâtir un large rassemblement».
Mais le président de la République a balayé mardi d'un revers de la main la candidature au poste de chef du gouvernement d'une haut fonctionnaire engagée à gauche inconnue des Français, Lucie Castets, que lui a proposée la coalition de gauche du Nouveau Front populaire - socialistes, communistes, écologistes et La France insoumise (gauche radicale).
Pour l'universitaire Dominique Rousseau, son discours «n'est pas fondamentalement critiquable d'un point de vue constitutionnel». Il «ne peut qu'attendre que se construise une coalition à l'Assemblée nationale pour désigner un Premier ministre que la coalition lui soumettra», explique-t-il, estimant qu'un gouvernement uniquement soutenu par la gauche serait immédiatement renversé.
Mais lorsqu'Emmanuel Macron «rappelle le rôle d'arbitre, invoque l'unité nationale», en réalité «il est à la fois juge et partie, joueur et arbitre», «selon un vieux problème de la Ve République», le régime politique en vigueur en France depuis 1958 qui a renforcé le rôle du chef de l'Etat, estime de son côté le politologue Bruno Cautrès, chercheur au Centre de recherches politiques de l'Institut d'études politiques de Paris (Cevipof).
Et si le président français invoque l'exemple des autres «démocraties européennes», où les systèmes parlementaires obligent de longue date à la formation de coalitions, cette comparaison est «fallacieuse», estime cet expert, car dans ces pays le chef de l'Etat n'a «pas autant de pouvoirs». Pour la députée écologiste Sandrine Rousseau sur X, «définitivement, la Ve République donne trop de pouvoir au président de la République».
«Plus maître du jeu politique»
Autrement dit, la clé de l'impasse actuelle serait qu'il faudrait œuvrer à la naissance d'une improbable coalition, comme le font régulièrement des pays comme la Belgique ou l'Italie... Mais Emmanuel Macron n'est ni le roi des Belges ni le président italien, habitués à jouer le rôle d'arbitres et négociateurs au-dessus des partis, notent les observateurs.
Bruno Cautrès évoque aussi un autre «super paradoxe»: «le président ne cesse de faire l'éloge du compromis, mais il tient ferme sur toutes ses positions en disant +tout ce que j'ai fait est super, il ne faut surtout pas y toucher+».
Alors que son entourage le dépeint désormais en «président qui préside» en surplomb après avoir gouverné dans les moindres détails sept ans durant, il entend en fait encore dicter la politique du futur exécutif, avec surtout des clins d'œil à la droite.
«La réalité c'est qu'il a perdu le jeu», prévient toutefois Dominique Rousseau. «Il donne l'apparence d'être le maître du jeu politique», «mais il ne l'est plus parce qu'il ne peut pas se représenter en 2027» à la prochaine élection, la Constitution interdisant d'exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs.
«Trêve olympique et politique»
Beaucoup dans son propre camp font le même constat, et l'invitent à lâcher prise. Même s'ils doutent qu'il en soit capable. «L'inclinaison naturelle du président n'est pas le partage du pouvoir», «il a une tendance naturelle à décider de tout et de le mettre en scène», rapporte un membre du gouvernement démissionnaire. «Ça suppose une sacrée évolution mentale de se dire +je vais me faire imposer quelqu'un+».
Or, selon lui, «les Français ont besoin que le président perde une partie du pouvoir»: «si celui qui est nommé à Matignon apparaît comme l'homme du président, forcément il y aura une majorité contre lui qui se dressera». En décrétant une «trêve olympique et politique» et en renvoyant toute nomination d'un Premier ministre à la fin des JO, «mi-août», Emmanuel Macron s'est donné du temps.
Une cérémonie d'ouverture grandiose sur la Seine vendredi, deux semaines sans couac d'organisation ni incident de sécurité seraient à mettre au crédit de celui qui a été à la manœuvre dans le moindre détail.
Mais pour le politologue Bruno Cautrès, «tout le monde sera très heureux si les JO se passent bien» du 26 juillet au 11 août, «mais dès le lendemain on va le bombarder avec les mêmes questions».
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26.06.2024