Interview exclusive«Le rôle de Jean-Luc Mélenchon est destructeur et détestable»
Gregoire Galley
28.6.2024
Au soir du 9 juin dernier, suite à une victoire historique de l’extrême droite aux élections européennes, Emmanuel Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale.
Gregoire Galley
28.06.2024, 08:10
Gregoire Galley
Depuis cette annonce fracassante, la France vit au rythme d’une campagne électorale effrénée en vue du premier tour de ces élections législatives anticipées qui se tiendra ce dimanche. Professeur émérite en Études européennes, Gilbert Casasus fait le point sur la situation. Entretien.
Avez-vous été surpris par l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale faite par Emmanuel Macron ?
«Cette annonce ne m’a guère surpris. Après les élections législatives de 2022, le président de la République ne disposait plus que d’une majorité relative au parlement. Ses nombreux dysfonctionnements conduisaient inexorablement à la dissolution. Par conséquent, le choix d’Emmanuel Macron était inévitable.»
«Cependant, il a confondu vitesse et précipitation, puisque sa décision est intervenue au soir d’une défaite électorale, qui plus est, à la veille des grandes vacances et des Jeux olympiques. Emmanuel Macron a ainsi offert nombre d’atouts à ses adversaires. Il aurait pu, dû attendre l’automne, après le rejet du budget par l’Assemblée nationale et le vote d’une motion de censure.»
Certains experts disent qu’Emmanuel Macron veut donner le pouvoir au Rassemblement National (RN) aujourd’hui afin de mieux le reprendre en 2027 lors de la prochaine élection présidentielle. Croyez-vous en cette hypothèse ?
«D’abord, Macron ne peut pas se représenter en 2027. Il faudra qu’il laisse la place à un successeur, si possible à l’un issu de son camp. Puis, je suis persuadé que pour Marine Le Pen cette dissolution n’est pas une bonne nouvelle personnelle. Elle aurait voulu arriver à la prochaine présidentielle avec un passé vierge.»
«Malheureusement pour elle, si le RN triomphe et entre dans une phase de cohabitation, elle abordera l’échéance de 2027 avec l’étiquette de la sortante ; bref, avec le danger d’être confrontée à l’adage du «sortez les sortants». De surcroît, dans une France qui se trouve et se trouvera dans une période difficile. Donc, c’est là une hypothèse tout à fait légitime.»
Les détracteurs du Nouveau Front Populaire (NPF), une coalition des principaux partis politiques français de gauche, parlent «d’une alliance opportuniste sans idées communes». Qu’en pensez-vous ?
«Plusieurs facteurs plaident en ce sens. D’abord, cette dénomination n’a aucun sens, car le «Nouveau Front Populaire» n’est nullement comparable avec la perception révolutionnaire et frontiste qui régnait en 1936. C’est un non-sens historique. Le Parti communiste français a pratiquement disparu, comme l’est le mouvement ouvrier.»
«En revanche, la gauche française est toujours scindée entre la radicalité des uns face au sens des responsabilités des autres. Même si, en 2024, elle se trouve à des années-lumière de 1936, elle doit encore assumer cette contradiction.»
«Par ailleurs, la référence au Front Populaire ne peut pas intervenir sans celle à Léon Blum. Et que voit-on aujourd’hui ? Quelques-uns crachent à la figure de Léon Blum. Et ceux qui s’amusent à le faire, crachent aussi à la figure du Front Populaire. C’est inadmissible et profondément honteux. Ils dénaturent le matérialisme historique de Karl Marx !»
«Le réveil sera brutal pour la gauche française au lendemain du second tour»
Gilbert Casasus
Professeur émérite en Études européennes
«Troisième point, et de manière tout aussi analytique, les résultats des élections européennes ont montré que le rapport de force instauré, en 2022, par la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES), sous la pression de La France Insoumise (LFI), a basculé en faveur des forces sociales-démocrates incarnées par Raphaël Glucksmann. Pour confirmer ce changement, la gauche aurait dû mettre sur pied une union autour des socialistes, des écologistes et des communistes, laissant de côté LFI.»
«Or, le NFP ne tient que partiellement compte de ces nouvelles tendances ce qui explique la grande fragilité de cette alliance politique. Elle est davantage électorale que gouvernementale. Comme un succès lors de ces législatives semble peu probable, le réveil sera brutal pour la gauche française au lendemain du second tour. Les débats risquent d’y être extrêmement durs et conflictuels.»
«Je tiens également à souligner le rôle destructeur et détestable de Jean-Luc Mélenchon (LFI). Ce dernier mise sur une victoire du RN lors de ces élections législatives afin de se présenter comme l’homme providentiel pour la présidentielle de 2027. Dans cette perspective-là, il joue son intérêt personnel aux dépens de celui de son propre camp. Jean-Luc Mélenchon se trouve à l'intersection d'une gauche de la défaite, à l’image de celle d’un Jeremy Corbyn (NDLR : chef du Parti travailliste britannique de 2015 à 2020) et d'une gauche totalitaire, incarnée par Hugo Chavez (NDLR : Président de la République bolivarienne du Venezuela de 1999 à 2013). Je ne pense pas que la gauche française doive se reconnaître dans ce schéma.»
Ces élections législatives ont aussi été marquées par le pacte entre Eric Ciotti, le président des Républicains (LR), et le RN. Cela pourrait signifier la fin de ce parti historique qui se veut dans la continuité des grands partis gaullistes ?
Non, pas pour ce scrutin. Car, les Républicains sont encore, quoique de moins en moins, implantés dans certains territoires français, auprès des populations rurales ou aisées. En revanche, il est certain que la défection d’Éric Ciotti pose, à terme, un problème politique de fond. Les fossés stratégiques et idéologiques, qui se sont creusés entre ceux qui refusent une alliance électorale et gouvernementale avec le RN et ceux qui l’acceptent, vont s’approfondir. Par ailleurs, quid de la réflexion historique sur le legs du gaullisme en France, dans la mesure où il n’y a presque plus d’héritage gaulliste en France ?
Renaissance, Nouveau Front Populaire (NPF), Rassemblement national (RN) : quel parti tire profit de cette campagne éclair ?
«Le RN profite de la situation. Plus généralement, étant donné que cette campagne est très courte, tous les partis reprennent des thèmes et des programmes qui ont été ficelés à la va-vite et qui ne sont ni crédibles, ni applicables.»
«Toutefois, ils essayent de les édulcorer pour ne pas faire peur aux électeurs. C’est notamment le cas pour le RN. C’est la stratégie de la vitrine, sans savoir ce qu’il y a dans l’arrière-boutique. Mais, l’essentiel n’est pas là. Cette campagne se déroule sur un fond de ressenti, d’irrationalité poussée à l’extrême. On veut essayer, ce que l’on n’a pas encore essayé. C’est là le pire des comportements pour favoriser le Rassemblement national et pour n’offrir aucune perspective nouvelle et raisonnable à la politique française.»
Pour conclure, projetons-nous un peu dans l’avenir. Quel mouvement politique voyez-vous triompher au soir du deuxième tour de ces élections législatives prévu le dimanche 7 juillet ?
«Avant de vouloir faire des pronostics, il est essentiel de garder à l’esprit que ces élections législatives ne sont pas des élections présidentielles. Il est impératif de parler en termes de sièges et non pas en termes de pourcentages. Il n’y aura donc pas une seule élection, mais 577 élections. Très probablement, on assistera à un nombre important de triangulaires, car un candidat qui a obtenu 12,5% des votants inscrits, pourra se représenter au second tour.»
«Aujourd’hui, il est plus facile, à travers des sondages, de faire des projections en pourcentages qu’en nombre de sièges. Ce n’est pas là la réponse que l’on attend pour un scrutin parlementaire. D’après certains sondages, l’on se dirige vers une chambre introuvable, c’est-à-dire une Assemblée nationale sans majorité absolue. Dans ce cas, cette configuration remet, plus encore qu’en 2022, en cause la Ve République qui ne peut pas fonctionner correctement sans une indiscutable majorité à l’Assemblée nationale. Mais, un second scénario se dessine aussi à l’horizon : celui d’une majorité absolue pour le RN. Dans ce cas, le pays vivra sous le régime d’une cohabitation féroce qui risque de mettre en danger la démocratie française.»
«Pour éviter tout blocage entre le Chef d’État et le gouvernement, Jacques Chirac avait instauré le quinquennat, permettant au président de la République de gouverner avec une Assemblée nationale élue pour un mandat égal au sien. Ce système a parfaitement fonctionné de 2002 à 2017 avec Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron. En revanche, la machine s’est enrayée en 2022.»
«En 2002, j’avais évoqué une pré-crise institutionnelle que Chirac a résorbée grâce au quinquennat. Aujourd’hui, cette solution a fait pschitt ! Vingt-deux ans plus tard, le temps n’est-il pas venu pour que la Ve République fasse pschitt à son tour ? C’est aussi l’enjeu des élections législatives de 2024 ou, si l’on préfère, l’horizon d’une crise institutionnelle.»
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