Colombie Les «drones de la mort» sèment la terreur

ATS

20.6.2024 - 07:38

Depuis le ciel, la caméra montre un chemin de terre qui serpente dans la montagne verdoyante. Le drone largue sa charge utile qui explose au contact du sol.

Au moins 16 attaques par drones contre l'armée ont été recensées entre début mai et mi-juin.
Au moins 16 attaques par drones contre l'armée ont été recensées entre début mai et mi-juin.
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Keystone-SDA

L'armée colombienne a récemment rendu publiques deux vidéos d'attaques de drones menées par des groupes armés, et il n'y a plus de doute: la guerre des drones est arrivée jusqu'en Colombie.

La méthode est sans précédent et inquiète dans un pays théâtre d'un conflit armé interne qui dure depuis six décennies entre l'Etat et les guérillas sur fond de profondes inégalités socio-économiques.

Selon la presse nationale, citant des sources militaires, au moins 16 attaques par drones contre l'armée ont été recensées entre début mai et mi-juin dans les départements du sud-ouest du pays, Valle del Cauca, Cauca et Nariño.

Aucun décès n'a été signalé jusqu'à présent. «Nous avons heureusement, grâce à Dieu, devancé ces tentatives d'attaque et nous continuons à améliorer nos capacités tactiques et techniques pour contrer cette menace», a récemment affirmé dans les médias le commandant des forces armées, le général Helder Giraldo.

«Drones de la mort»

La presse, s'alarmant de ces «drones de la mort», a diffusé les photos d'un blessé au dos grêlé d'éclats et de combattants affairés à bricoler ces armes d'un nouveau genre, dont disposerait notamment l'EMC, principale faction de la dissidence de l'ancienne guérilla des Farc.

«Les drones commerciaux équipés d'explosifs sont devenus une tactique courante pour les groupes armés, en particulier dans le sud-ouest», constatait dans un article fin mai le centre de réflexion La Silla Vacia.

Arme particulièrement bien adaptée au terrain accidenté colombien, le drone offre une technologie peu coûteuse, avec une capacité de destruction avérée et un impact psychologique puissant.

Pour l'heure, ces armes se résument à un bricolage artisanal: une grenade ou un obus de mortier attaché au drone et largué à la verticale de l'objectif. La guerre en Ukraine a cependant démontré toute la capacité meurtrière de ces engins, qui y ont modifié la dynamique du conflit.

Pour La Silla Vacia, qui cite un ancien commandant de l'armée, le général Alberto Mejia, «l'émergence de drones commerciaux bricolés pour être adaptés à la guerre s'inscrit dans la tradition de ces groupes armés pour pallier le manque d'armement conventionnel».

«Artisanale mais efficace»

«C'est une technologie artisanale, mais qui finit par être efficace», explique à l'AFP Luis Armas, spécialiste de la sécurité et de l'utilisation de ces appareils.

D'après le site d'informations Cambio, «les services de renseignements militaires ont découvert qu'au cours des six derniers mois, des cours sur l'utilisation de drones (...) ont été organisés dans différents camps» de la dissidence des ex-Farc dans le cadre d'une «stratégie secrète».

L'AFP a obtenu de source officielle des transcriptions d'appels téléphoniques interceptés entre membres de l'EMC, où ils discutent de leurs plans d'attaque par drones et de leurs entraînements à leur utilisation.

Dans l'un de ces appels est même évoquée la possibilité d'une attaque avec un «véhicule aérien sans pilote» ciblant les «quartiers de Bogota où traîne l'oligarchie».

En avril, le général Giraldo a ordonné à ses hommes «d'établir des protocoles et des mesures préventives» pour «atténuer» le risque d'attaques de drones, selon un document divulgué à la presse.

Bien qu'il existe peu d'enregistrements filmés de ces engins, un commandant rebelle dans le sud-ouest du pays a confirmé à l'AFP que leur adoption était en cours. «Si l'ennemi se prépare (...) avec des drones, nous devons bien sûr voir comment nous pouvons nous mettre à niveau».

Alors que des centaines de mercenaires colombiens combattent aujourd'hui des deux côtés en Ukraine, une question subsidiaire se pose: ce savoir-faire a-t-il pu être exporté en Colombie via des combattants des guérillas marxistes aux accointances revendiquées avec le bloc russe?

Mieux armés

A Popayan, capitale du Cauca, la mairie a interdit les vols de drones à la suite d'un attentat à la bombe perpétré le 7 juin contre un poste de police.

La semaine dernière, une charge tombée d'un drone près d'un hôpital de la municipalité de Suarez a explosé et blessé une jeune fille. Un autre attentat a blessé trois soldats avec des éclats d'obus à Argelia, dans cette même région, place forte de la dissidence.

«Les groupes armés démontrent qu'ils sont mieux armés, qu'ils ont une meilleure technologie», s'est alarmé Miller Hurtado, secrétaire à la Sécurité du Cauca, inquiet du peu de précision de ces engins, avec le risque évident qu'ils tombent à proximité de bâtiments civils ou d'écoles.

Pour Jorge Restrepo, chercheur au Centre de ressources pour l'analyse des conflits, l'utilisation généralisée des drones par les rebelles «signifierait un énorme saut de capacité militaire» de la part de ces groupes. Il s'agit d'un instrument «essentiellement destiné au terrorisme» et pour lequel «les forces armées ne sont pas préparées», analyse-t-il.